Le soleil filtrait à travers les larges fenêtres du petit salon attenant à la suite d'Alice, baignant la pièce d'une lumière douce et chaleureuse. L'atmosphère était paisible, presque complice. Assise sur une méridienne, un carnet à dessin posé sur les genoux, Alice faisait glisser son crayon sur le papier, concentrée.
À ses côtés, Étoile, fidèle et calme, s'était allongée, sa tête posée contre la jambe d'Alice. Ses yeux suivaient chaque geste de sa maîtresse, tandis que ses petits chiots, joueurs et maladroits, gambadaient gaiement autour de Camille, installée au sol sur un tapis moelleux. La jeune femme riait doucement en essayant de les empêcher de lui attraper les pants de sa robe.
Célia, assise en face d’Alice de l’autre côté de la petite table où celle-ci étalait ses croquis, observait les dessins avec des yeux pétillants d’enthousiasme.
« Et si on ajoutait une fente sur le côté ? » proposa-t-elle en pointant du doigt un des dessins. « Pas trop haute, mais assez pour que ce soit fluide quand je marcherai. »
Alice leva les yeux vers elle, l'ombre d'un sourire aux lèvres.
« Bonne idée... Et je pourrais jouer avec des transparences sur le haut, pour garder de l'élégance sans trop en dévoiler. »
« Oui ! Avec des broderies en perles ou en fil d'argent, comme celles que tu avais faites pour l'exposition... » ajouta Célia, ses yeux brillants à l'évocation du souvenir.
Alice acquiesça en silence, reprenant son crayon pour modifier le dessin, ajouter un mouvement ici, une texture là. Ses gestes étaient assurés, comme guidés par une mémoire qu'elle n'avait pas totalement retrouvée mais qui vivait au bout de ses doigts.
« Tu travailles comme avant, » murmura Célia avec tendresse. « Même sans tes souvenirs, tu es toujours toi. »
Alice resta silencieuse un instant, le regard baissé sur son croquis. Puis elle releva les yeux, un peu troublée mais apaisée.
« C'est étrange... Je ne me souviens pas de nos conversations, ni de nos rires, mais quand je dessine avec toi, j'ai l'impression que c'est naturel. Comme si on avait toujours fait ça ensemble. »
« Parce que c'est le cas. » souffla Célia, émue. « Tu as toujours dessiné, toujours rêvé de robes qui racontent une histoire. Et tu m'as souvent incluse dans ces rêves. Ce bal... c'est une belle occasion de te retrouver à travers tes créations. »
Alice sourit, cette fois un peu plus franchement, tout en esquissant un autre modèle. Un tissu fluide, des manches légèrement tombantes, un corsage délicatement travaillé.
« Et pour Elodie et Louise... tu as des idées ? »
« Bien sûr. Louise adore les coupes ajustées et les tissus satinés. Elodie préfère les coupes princesse, avec du volume, mais elle déteste les décolletés plongeants. Je pense qu'elles te laisseront carte blanche. »
Alice hocha la tête, prenant note de chaque détail. Ses doigts se remirent à tracer des lignes inspirées sur le papier, pendant que Camille lançait une peluche aux chiots qui bondissaient dans tous les sens.
« Tu as encore l'œil, » lança Camille à Alice, un sourire espiègle sur les lèvres. « Et le talent qui va avec. »
Alice ne répondit pas tout de suite, mais son regard s'adoucit.
« Merci. Ça me fait du bien, tout ça. D'être ici, avec vous. »
Dans le calme de cette matinée, les dessins s'enchaînèrent. La complicité reprenait doucement sa place. Et au milieu des éclats de rire des chiots, des idées de robes et des regards bienveillants, Alice retrouvait peu à peu ce qu'elle croyait perdu : sa passion, son univers, et peut-être, un peu d'elle-même.
Pendant que les croquis prenaient vie dans le petit salon de la suite, à l’étage inférieur, une autre discussion tout aussi importante se tenait dans le bureau du domaine Lemoine. Autour de la grande table en acajou, M. Lemoine et M. Montbrun relisaient attentivement les dernières lignes du contrat qu’ils s’apprêtaient à signer. Les visages graves mais empreints d’une certaine satisfaction.
« Ainsi, nous avons une clause claire concernant la priorité sur les commandes, » résuma M. Lemoine en tapotant la dernière page du document. « Alice devient officiellement la styliste attitrée de nos familles, et Mme Delacroix, notre couturière principale. »
« Ce qui me semble tout à fait légitime, » ajouta M. Montbrun, le regard posé sur la signature fraîchement apposée au bas du contrat. « Vu leur talent et l'attachement qu'elles ont pour nos enfants, c’est un partenariat à la fois humain et créatif. »
Un hochement de tête complice entre les deux hommes précéda le bruit discret des stylos glissant sur le papier, marquant l’union de deux familles dans un accord à la fois professionnel et personnel.
À ce moment-là, la porte du bureau s’ouvrit doucement. Célia, radieuse dans une tenue élégante et simple, venait d’entrer, un sourire aux lèvres.
« Je vais me préparer à partir, » annonça-t-elle. « Alice continue à dessiner, elle a déjà eu trois idées rien qu’en parlant de broderies. »
« Parfait, ma chérie. » répondit son père, se levant pour l’embrasser sur le front. « Tout se passe bien avec elle ? »
« Très bien. » souffla-t-elle doucement avant de sortir.
À peine la porte s’était-elle refermée que Mme Lemoine, suivie de Mme Delacroix, entra dans le bureau, les joues rosies d’enthousiasme.
« Alors ? » demanda Mme Lemoine avec un sourire malicieux.
« C’est fait, » déclara fièrement M. Montbrun en tendant un exemplaire signé.
« Officiellement, Alice et toi êtes liées à nos maisons, » dit-il à Mme Delacroix, « et ce pour longtemps, je l’espère. »
Cette dernière posa une main sur sa poitrine, touchée.
« Merci… C’est un honneur, vraiment. »
« L’honneur est pour nous, » répliqua M. Lemoine. « Et je suis certain que nos familles vont rayonner grâce à vos créations. »
Les regards échangés étaient ceux de personnes conscientes de l’importance de ce moment. Un simple contrat, certes, mais aussi un symbole : celui d’une renaissance pour Alice, d’un avenir plus clair pour Mme Delacroix, et d’un engagement profond entre des familles désormais liées par bien plus que la mode.