Pendant qu’Alice partageait ses souvenirs avec Camille dans la salle de présentation, M. Lemoine guidait les trois artistes à travers le domaine, leur faisant découvrir les pièces qui leur étaient réservées durant leur séjour. Le petit groupe quitta la galerie d’art et traversa le grand hall illuminé par des lustres en cristal, projetant des reflets d’arc-en-ciel sur les murs ornés de moulures délicates. L’atmosphère imposante du lieu contrastait avec la simplicité et la curiosité des artistes, qui échangeaient des regards impressionnés.
« Avant de poursuivre, permettez-moi de vous montrer vos chambres, » dit M. Lemoine avec un sourire chaleureux. « Nous voulons que vous vous sentiez ici comme chez vous. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, il vous suffira de tirer sur la corde près de la porte. »
Il ouvrit une première porte sur un long couloir bordé de tapis moelleux. Chaque chambre était spacieuse et accueillante, décorée avec un mélange d’élégance classique et de touches modernes. Des lits à baldaquin, des œuvres d’art soigneusement sélectionnées et des étagères remplies de livres sur l’art, l’histoire et la création complétaient l’ensemble.
« Ces chambres ont été pensées pour stimuler votre inspiration, » expliqua-t-il. « Et si jamais l’envie de créer vous prend, un salon privé vous est réservé au rez-de-chaussée, juste à côté de la bibliothèque. Vous y trouverez des chevalets, des tables de travail et des outils de base pour l’esquisse et la peinture. »
La sculptrice en verre, une femme aux cheveux sombres relevés en un chignon élégant, leva la main avec un sourire timide.
« Excusez-moi, M. Lemoine, ces espaces sont-ils accessibles aux autres invités ou uniquement à nous ? »
« Excellente question, » répondit-il. « Ces pièces sont réservées à vous seuls, afin que vous puissiez travailler ou vous reposer en toute tranquillité. À moins d’une urgence, personne d’autre n’y entrera. Et bien sûr, nous veillerons à respecter votre intimité. »
Ils poursuivirent la visite jusqu’à la salle à manger, une vaste pièce illuminée par de grandes fenêtres donnant sur les jardins du domaine. Une longue table en bois sombre, magnifiquement dressée, trônait au centre, entourée de chaises finement sculptées.
« Vous prendrez vos repas ici, en notre compagnie. Nous croyons que les repas sont un moment privilégié pour échanger et partager, » précisa M. Lemoine.
Les artistes acquiescèrent, semblant apprécier cette attention. Puis, alors que la visite touchait à sa fin, M. Lemoine revint sur la galerie d’art et demanda :
« J’aimerais connaître vos impressions sur l’espace d’exposition. Pensez-vous que la mise en valeur de vos œuvres est optimale ? L’éclairage, la disposition… avez-vous des suggestions ? »
La sculptrice en verre observa les reflets des lustres sur ses pièces exposées. « L’éclairage est magnifique, mais un ajustement sur certains spots permettrait de mieux révéler la transparence et les nuances de mes œuvres. »
Un peintre, plus âgé, fit une proposition : « Quelques tableaux pourraient être repositionnés pour capter davantage la lumière naturelle et ainsi accentuer leur profondeur. »
M. Lemoine prit note avec soin. « Nous ferons les ajustements nécessaires dès demain matin. »
Avant de les laisser se reposer, il leur rappela l’arrivée imminente de l’investisseur. « Nous comptons sur votre préparation pour présenter vos œuvres sous leur meilleur jour. Si vous avez besoin d’aide, faites-le-moi savoir. »
Après avoir raccompagné les artistes, M. Lemoine se souvint avoir vu sa femme se diriger vers la galerie d’art en passant par les jardins. En arrivant, il la découvrit immobile, la tête baissée, ses épaules légèrement secouées par de silencieux sanglots. Son fils, Raphaël, était adossé au mur non loin, les poings crispés, les mâchoires contractées. L’air sombre qu’il affichait contrastait avec son calme habituel.
D’un regard inquiet, M. Lemoine comprit que ce qu’Alice avait révélé était bien plus grave qu’il ne l’avait imaginé.
Il posa doucement une main sur l’épaule de sa femme. « Viens, rentrons. »
Sans un mot, il l’accompagna jusqu’au bâtiment principal, jusqu’à son bureau où elle s’effondra dans un fauteuil. Raphaël les rejoignit peu après, estimant que Camille s’occupait d’Alice et qu’il était inutile d’intervenir pour l’instant.
M. Lemoine posa un regard interrogateur sur son fils, une demande muette dans ses yeux. Raphaël inspira profondément avant de raconter, dans les moindres détails, ce qu’Alice avait confié. À mesure qu’il parlait, les traits de son père se durcirent, passant de la stupeur à une colère maîtrisée. Lorsqu’il eut terminé, un silence pesant s’installa.
« C’est… monstrueux, » murmura Mme Lemoine, la voix brisée. « Comment peut-on traiter ainsi une enfant ? »
Non loin de là, deux servantes, occupées à finaliser les préparatifs dans la salle réservée à la mode, échangeaient des chuchotements en ajustant un bouquet de fleurs sur une table.
« Tu as entendu ? Cette pauvre Alice… Ce qu’elle a enduré, c’est impensable, » dit l’une, la voix tremblante.
« Oui… Elle semble si douce, si fragile. Comment a-t-elle pu survivre à tout cela seule ? » répondit l’autre, replaçant soigneusement un pli de rideau.
Elles poursuivirent leur tâche en silence, comme pour marquer leur respect envers la jeune femme dont l’histoire les bouleversait profondément.
Quand elles eurent terminé, elles quittèrent la pièce et retournèrent au bâtiment principal. Avant de refermer la porte, l’une d’elles murmura :
« J’espère qu’elle trouvera enfin un peu de bonheur ici… »
L’autre acquiesça, une lueur inquiète dans les yeux. « Oui… mais avec un passé comme le sien, je crains que bien des vérités restent encore à découvrir. »
Elles disparurent dans les couloirs, tandis que la maison, imprégnée des révélations d’Alice, semblait retenir son souffle, consciente que ce récit n’était que le début d’une vérité bien plus profonde.