Lorsqu’Alice franchit le seuil de sa chambre, un lourd silence s’abattit sur elle. L’air semblait plus épais, comme si l’atmosphère elle-même se chargeait du poids des événements. Elle s’approcha du lit, se laissa tomber contre le matelas, et, une fois seule, ses émotions déferlèrent enfin. Elle serra son oreiller contre son visage, les larmes roulant sur ses joues. La douleur était insupportable, le sentiment d’être prise au piège, d’être une pièce sur un échiquier dans les mains de ses parents. Enervée et dépassée, elle frappa du poing sur l’oreiller, ne cherchant même pas à retenir ses sanglots. Les minutes passèrent, s’étirant comme des heures, jusqu’à ce que la fatigue finisse par l’envahir. Son corps trop épuisé pour continuer à lutter contre la douleur, elle sombra dans un sommeil agité.
Le matin arriva trop vite. Alice se réveilla, une sensation de lourdeur dans les membres, comme si la nuit n’avait pas suffi à apaiser son esprit. Sa camériste, Marguerite, s’approcha doucement du lit, veillant à ne pas la brusquer.
« Mlle, il est temps de vous réveiller. »
Sa voix douce perça la brume de sommeil d’Alice. Marguerite posa un plateau sur le bureau, où l’attendaient un thé fumant, des fruits frais et des viennoiseries. Alice prit quelques instants pour se redresser, accueillant le calme du matin comme un refuge temporaire. Marguerite l’aida à se lever et à se préparer, ajustant avec soin sa robe de chambre et nouant délicatement ses cheveux.
« Mlle, avez-vous déjà réfléchi aux accessoires que vous porterez ce soir ? » demanda-t-elle en l’observant dans le miroir.
Alice, encore plongée dans ses pensées, répondit distraitement :
« Je n’ai pas encore pris de décision. »
« Peut-être aimeriez-vous essayer de nouveaux accessoires ? Cela pourrait apporter la touche parfaite à votre tenue, » suggéra Marguerite avec un sourire.
Après un instant d’hésitation, Alice hocha la tête. Marguerite sortit plusieurs accessoires : une broche de perles en forme de fleur, un collier délicat de cristal, et un voile en dentelle. Alice opta pour le collier de cristal, le déposant avec soin sur sa coiffeuse.
« C’est parfait, Marguerite. Je me sens prête. »
La camériste sourit, satisfaite.
« Vous serez magnifique ce soir, Mlle. »
Après s’être préparée, Alice quitta le manoir et se rendit chez son amie Célia de Montbrun, une jeune femme vive et généreuse. Accueillie dans le petit salon donnant sur les jardins, Alice retrouva Célia ainsi que leurs amies Louise et Élodie.
« Alice ! Comme je suis ravie que tu sois venue ! » s’exclama Célia en l’embrassant chaleureusement.
Autour d’une table garnie de thé et de pâtisseries, Louise lui tendit un coffret.
« J’ai quelque chose pour toi, Alice. Un petit cadeau pour marquer cette journée spéciale. »
Surprise, Alice ouvrit le coffret et découvrit un délicat bracelet en or orné d’un charme en forme de fleur.
« Louise, c’est magnifique ! » murmura-t-elle, touchée.
Élodie, plus réservée, tendit à son tour une boîte en velours.
« Voici le mien. Ce n’est pas grand-chose, mais j’espère qu’il te plaira. »
Alice découvrit une broche en argent finement gravée d’un motif floral.
« Élodie, elle est superbe. »
Enfin, Célia lui offrit une bourse en tissu finement brodé, où son nom, "Alice", était délicatement inscrit au fil d'or.
« Célia, c’est merveilleux… Merci à vous toutes. »
Mais Célia, attentive, perçut l’ombre qui voilait le regard d’Alice. Elle posa doucement une main sur la sienne.
« Alice, quelque chose te tracasse, n’est-ce pas ? »
Alice tenta un sourire, mais Célia insista.
« Tu peux tout nous dire. »
Après un moment d’hésitation, Alice baissa les yeux, jouant nerveusement avec la broche qu’elle venait de recevoir.
« J’ai appris certaines choses hier… des choses que mes parents m’ont cachées. »
Ses amies se penchèrent légèrement, inquiètes.
« Quoi donc ? » demanda Élodie doucement.
Alice inspira profondément.
« Mes parents ont arrangé mon mariage avec Hans Falkner. L’annonce sera faite ce soir, le jour de ma majorité, et la cérémonie est prévue dans deux mois. Tout cela sans même m’en parler. »
Un silence choqué s’abattit sur la pièce. Louise porta une main à sa bouche, horrifiée. Élodie fronça les sourcils, et Célia se figea brièvement avant de laisser échapper un souffle lent.
« Mais c’est insensé ! » s’indigna Louise. « Comment peuvent-ils te faire cela ? »
Célia pressa doucement la main d’Alice.
« Tu n’es pas seule. Nous sommes là pour toi. »
Elle échangea un regard discret avec sa servante qui, à son signal, quitta la pièce. Quelques minutes plus tard, la servante se présenta devant M. de Montbrun, un homme imposant au regard perçant.
« M., Mlle Célia demande à ce que le plan soit mis en place avant le départ de Mlle Alice, » annonça-t-elle.
M. de Montbrun releva la tête.
« Expliquez-moi, qu’a-t-elle entendu ? »
La servante hésita avant de répondre avec respect.
« Mlle Alice vient d’apprendre que ses parents ont arrangé son mariage avec Hans Falkner. L’annonce doit être faite ce soir et les noces auront lieu dans deux mois. Elle se sent trahie et piégée. »
M. de Montbrun fronça les sourcils.
« Ainsi, ils comptent la forcer à épouser cet homme… Célia a bien fait de vous envoyer. »
Il resta silencieux un instant, puis se leva.
« Préparez tout. Si Célia estime qu’Alice doit disparaître pour échapper à cette situation, alors nous devons agir avec diligence. Je ne tolérerai pas qu’on brise l’esprit d’une jeune femme qui ne demande qu’à être libre. »
Elle s’inclina.
« Très bien, M.. »
Il posa une main sur son bureau, songeur.
« Célia… Elle est attachée à Alice, mais elle aime aussi Hans Falkner. Elle est prête à renoncer à ses propres sentiments pour la sauver. »
Il inspira profondément avant de conclure d’une voix ferme :
« Ce soir, Alice ne sera pas seule face à son destin. »