Les préparatifs battaient leur plein au domaine, l’atmosphère animée trahissant l’excitation qui précédait l’arrivée imminente des invités. À une semaine de la venue de M. Montbrun et de sa fille, et à seulement deux jours de l’arrivée des trois artistes, chaque membre de la famille et chaque domestique avait un rôle précis à jouer. Le domaine semblait bouillonnant d’énergie, comme une ruche qui s’active avant un grand événement.
Mme Lemoine supervisait tout avec une efficacité remarquable, son regard attentif veillant à ce que chaque détail soit parfaitement orchestré. Les domestiques s’affairaient à préparer les chambres d’hôtes, veillant à ce qu’elles soient impeccables. Le mobilier était astiqué, les draps fraîchement repassés, et des bouquets de fleurs fraîches étaient disposés sur les tables de nuit. Camille participait activement, donnant des instructions ici et là avec son enthousiasme habituel, apportant des suggestions de dernière minute avec un sourire contagieux.
Alice, bien qu’un peu hésitante au début, s’était laissée entraîner par l’énergie ambiante. Elle donnait son avis sur le choix des couleurs pour les rideaux et les tapis, s’assurant que chaque pièce soit accueillante et reflète le raffinement de la maison. Sa voix, douce mais pleine de conviction, résonnait à travers la pièce, toujours portée par un désir sincère de faire briller ce domaine.
« Ces tons bleus et argentés seront parfaits pour la chambre de M. Montbrun et de sa fille, » suggéra-t-elle en désignant des étoffes. « Cela apportera une touche de calme et d’élégance. »
Mme Lemoine hocha la tête avec approbation, visiblement satisfaite de la suggestion.
« Une excellente idée, Alice. Ces couleurs correspondent tout à fait à l’image que nous voulons donner. » Elle lui adressa un regard approbateur, avant de se tourner vers les domestiques pour donner des ordres supplémentaires.
Parallèlement, un autre groupe se chargeait de l’aménagement du bâtiment qui servirait de galerie d’art. Raphaël et son père, quant à eux, concentraient leurs efforts sur les parties extérieures du domaine, organisant les différentes étapes de la visite prévue pour impressionner les investisseurs.
Alice, accompagnée de Mme Lemoine, était responsable de la décoration intérieure de la galerie. Chaque œuvre devait être mise en valeur pour capter immédiatement l’attention des invités. Alice proposa des arrangements subtils mais efficaces, jouant avec la lumière naturelle et les ombres pour sublimer les peintures et sculptures exposées. Le calme de l’espace contrastait avec le tumulte extérieur, un moment où elle se sentait en parfaite harmonie avec son environnement.
« Nous pourrions utiliser ces miroirs pour refléter la lumière sur les sculptures, » dit-elle, ajustant un miroir doré avec précaution.
« C’est brillant, Alice, » approuva Mme Lemoine, souriant. « Et pour la section musicale ? »
Alice se tourna vers l’espace réservé au musicien, un coin charmant près des grandes baies vitrées. Elle se prit à imaginer la scène, les invités captivés par la musique, les vibrations des instruments se mêlant à la beauté des œuvres d’art.
« Peut-être pourrions-nous placer des fauteuils confortables ici, pour inciter les visiteurs à s’asseoir et profiter de la musique. Cela rendra l’expérience encore plus immersive. »
Mme Lemoine sourit, visiblement satisfaite de la suggestion.
Deux jours plus tard, les trois artistes arrivèrent. Ils furent accueillis par Raphaël et M. Lemoine, qui les guidèrent dans le domaine, leur expliquant les installations mises à leur disposition. Ces artistes, choisis pour leur talent exceptionnel, avaient pour mission de présenter leurs œuvres aux nouveaux investisseurs lors de l’événement.
Raphaël, toujours attentif, s’assura que chacun se sente à l’aise. Il écouta attentivement les descriptions des œuvres qu’ils avaient apportées, prenant des notes pour mieux les intégrer aux discussions avec les investisseurs.
« Vos sculptures en verre sont absolument fascinantes, » dit-il à l’une des artistes, une jeune femme qui avait apporté des œuvres représentant des paysages marins figés dans le verre. « Je suis sûr qu’elles feront forte impression. »
Alice, en retrait, observa Raphaël avec admiration. Il avait un don pour mettre les gens à l’aise, et son attention sincère envers les artistes était évidente. Elle se sentit émue par la facilité avec laquelle il interagissait, et, malgré la tension qui habitait son propre cœur, elle se surprit à se réjouir pour lui.
Mme Lemoine sourit, visiblement satisfaite, tandis qu’elle ouvrait la porte d’une salle vide située au bout du bâtiment. Alice suivait, curieuse, mais perplexe.
« Que pensez-vous de cette pièce ? » demanda Mme Lemoine, un regard chargé d’attentes.
Alice regarda autour d’elle, observant les murs blancs et les grandes fenêtres qui laissaient entrer une lumière douce et naturelle. Un silence pesant s’installa dans la pièce avant qu’Alice ne réponde, son regard s'attardant sur chaque détail.
« Elle est belle… mais je ne comprends pas, que voulez-vous en faire ? » demanda-t-elle, l’hésitation marquant ses mots.
Camille, toujours présente, entra avec entrain et posa une main amicale sur l’épaule d’Alice.
« Cette salle est pour toi, Alice. Tes croquis, ceux qui ont été confectionnés par Mme Delacroix, y seront exposés. »
Alice écarquilla les yeux, figée par la surprise.
« Mes… mes croquis ? Mais pourquoi ? » Sa voix était étranglée par la confusion, comme si ce que l’on venait de lui dire n’avait aucun sens.
Mme Lemoine s’approcha doucement, ses paroles se voulant rassurantes.
« Lorsque l’accord avec Mme Delacroix a été signé, elle m’a expliqué que tu avais déjà réalisé d’autres modèles. Elle a exprimé le souhait de dévoiler ces créations pour montrer tout le potentiel de votre collaboration. Nous voulons mettre toutes les chances de ton côté, Alice. »
Mais au lieu de la rassurer, ces paroles semblèrent déclencher une vive émotion chez Alice. Sa respiration s’accéléra, et elle posa les mains sur sa tête, comme si elle cherchait à chasser une pensée douloureuse. Elle ferma les yeux, soudain perdue dans un tourbillon de souvenirs.
« Non… non, je ne peux pas… Je ne peux pas faire ça, murmura-t-elle, la voix tremblante. »
Mme Lemoine et Camille échangèrent un regard inquiet. Camille s’approcha doucement, sa voix calme et douce.
« Alice, qu’est-ce qui ne va pas ? » demanda-t-elle, inquiète.
Mais Alice semblait ailleurs, prononçant des mots confus et incohérents, comme si elle était replongée dans un souvenir difficile. Les images se bousculaient dans sa tête, et elle sentait la douleur d’un passé qu’elle n’avait jamais voulu affronter.
« Je… mes dessins… je voulais les sauver… j’ai promis… mais ils… » Sa voix se brisa alors qu’elle caressait inconsciemment Étoile, qui s’était approchée en sentant son trouble.
« Ils m’ont surprise, » continua-t-elle d’une voix faible, presque inaudible. « J’ai supplié qu’on me laisse les garder. Je me souviens… de la gifle. Avec cet éventail… » Ses mots étaient déchirants, une douleur ancienne qu’elle n’avait jamais osé révéler.
Alice porta inconsciemment une main à sa joue, comme si la douleur était encore là, avant de poursuivre, la voix tremblante :
« Ils ont fermé la porte à clé. J’entendais le crépitement du feu… Je voulais juste sauver mes dessins, mais ils n’ont laissé aucune chance… »
Le silence qui suivit était lourd. Mme Lemoine et Camille restèrent immobiles, absorbant ces révélations avec une douleur silencieuse. Camille posa doucement une main réconfortante sur l’épaule d’Alice.
« Alice, écoute-moi, tu n’as plus rien à craindre ici. Tu es en sécurité. Tu n’es pas obligée de te montrer aux investisseurs si tu ne te sens pas prête. Mme Delacroix sera là pour tout gérer. Nous sommes là pour toi. » Ses mots étaient un baume, une promesse que rien ne la ferait plus souffrir.
Alice prit une profonde inspiration, s’accroupit et enfouit son visage dans le pelage d’Étoile. La chaleur de l’animal, sa présence silencieuse, semblait la réconforter.
« Désolée… Je ne sais pas ce qui m’a pris, murmura-t-elle. »
Mme Lemoine s’approcha doucement, son ton empreint de compassion. Elle se pencha légèrement pour regarder Alice dans les yeux.
« Ce n’est pas ta faute, Alice. Mais ici, personne ne te privera de tes rêves. Et personne ne détruira jamais ce que tu as construit. »
Alice releva les yeux, les larmes brillant encore au coin de ses paupières, mais un faible sourire se dessina sur son visage. Ce sourire, fragile mais sincère, apporta une sensation de calme, comme une lumière douce dans la pénombre de ses pensées.
« Merci… vraiment. »
Étoile, toujours fidèle, resta à ses pieds, comme pour veiller sur elle, alors que l’atmosphère pesante se dissipait doucement.