Le soleil matinal baignait les jardins de sa lumière dorée, faisant scintiller la rosée sur l’herbe fraîche. Dans la maison, le calme régnait, mais une tension silencieuse persistait depuis les événements de la veille.
Raphaël était dans le bureau de son père, comme il l’avait été une grande partie de la nuit. Une carte était toujours dépliée sur le bureau en chêne massif, ses contours marqués par des annotations au crayon. Le jeune homme y était plongé, le front plissé par la réflexion.
Il revoyait les visages inquiets de ses parents, les paroles troublantes de Camille, mais surtout, il ne pouvait oublier ce qu’Alice avait dit à demi-mot. Cette mention des voix glaciales, de ces hommes… Tout cela formait un puzzle qu’il n’arrivait pas à assembler.
C’est alors que son père entra, une tasse de café à la main.
« Tu n’as pas quitté ce bureau de la nuit, Raphaël. » La voix de M. Lemoine était douce, mais empreinte de fatigue.
Raphaël releva la tête, son regard déterminé.
« Père, ce que Camille a dit hier… Et cette rumeur que j’ai entendue à la capitale… Je crois qu’il pourrait y avoir un lien. »
M. Lemoine posa la tasse sur le bureau et croisa les bras.
« Explique-toi, fils. »
Raphaël passa une main dans ses cheveux noirs, cherchant ses mots.
« Hier, Alice a parlé de voix. Elle a dit que ce sont celles des hommes qui l’ont poussée du haut de la cascade. Ce n’est pas seulement un souvenir. Ces hommes voulaient sa mort, père. Et si ces voix appartenaient aux mêmes personnes liées à cette rumeur de jeunes filles disparues ? »
M. Lemoine fronça les sourcils, visiblement préoccupé.
« Cela reste une supposition. Mais je ne peux nier que l’histoire d’Alice est bien plus sombre que nous ne le pensions. »
Il s’assit dans le fauteuil face à son fils, prenant une inspiration profonde avant de continuer.
« Qu’est-ce que tu proposes ? »
Raphaël fixa son père, le regard brûlant d’une détermination nouvelle.
« Je vais retourner à la capitale. Ces hommes… je dois découvrir qui ils sont. Si cette rumeur a un fond de vérité, cela pourrait nous mener à des réponses. Alice mérite de savoir ce qui lui est arrivé et pourquoi elle a été prise pour cible. »
M. Lemoine prit une profonde inspiration, son visage marqué par l'inquiétude.
« Raphaël, je comprends ton envie d’aider Alice, mais il faut réfléchir aux conséquences. »
Raphaël fronça les sourcils, surpris par la retenue de son père.
« Conséquences ? Père, des hommes ont essayé de la tuer ! Si nous ne faisons rien, ils pourraient revenir pour finir ce qu’ils ont commencé. »
M. Lemoine leva une main pour l’interrompre, son ton empreint de gravité.
« C’est précisément ce que je crains. Si nous creusons trop, ces hommes pourraient réaliser qu’Alice est toujours en vie. Ils n’hésiteront pas à revenir, cette fois en s’attaquant non seulement à elle, mais à tous ceux qui l’entourent. Es-tu prêt à mettre ta famille en danger, Raphaël ? »
Le jeune homme resta silencieux, le poids des paroles de son père s’imposant à lui. La question le perça de part en part.
« Mais… ne rien faire, c’est accepter qu’ils restent impunis, » murmura-t-il, la voix plus faible.
M. Lemoine posa une main ferme sur l’épaule de son fils.
« Je ne dis pas d’abandonner complètement. Nous garderons les yeux et les oreilles ouverts, mais discrètement. Pour l’instant, il y a autre chose qui exige notre attention immédiate. »
Raphaël leva un sourcil interrogateur, et son père poursuivit :
« Un investisseur important nous rendra visite dans un mois pour discuter d’un partenariat stratégique. Il souhaite avoir un aperçu de nos affaires et arrivera une semaine avant pour se familiariser avec notre fonctionnement. Nous devons concentrer nos efforts sur cette visite, car elle pourrait assurer l’avenir de notre entreprise. »
Mme Lemoine entra dans la pièce à cet instant, portant un dossier.
« Et surtout, il faudra montrer une façade irréprochable. Alice fait partie de cette maison, mais il est important qu’elle reste en arrière-plan pour éviter toute complication. Nous ne savons pas comment cet investisseur pourrait réagir à sa présence et à l’histoire qui l’entoure. »
Raphaël se tourna vers sa mère, les poings serrés.
« Vous voulez qu’on la cache comme si elle était un secret honteux ? Elle mérite mieux que ça. »
Mme Lemoine posa le dossier sur le bureau et croisa les bras.
« Ce n’est pas une question de honte, Raphaël, mais de prudence. Nous devons protéger Alice, pas seulement contre ceux qui lui ont fait du mal, mais aussi contre les jugements extérieurs. Si cet investisseur entend parler d’une rumeur ou d’un scandale, cela pourrait compromettre nos négociations. »
Raphaël ferma les yeux un instant, inspirant profondément pour contenir sa frustration.
« Très bien. Je ferai ce que vous demandez pour l’investisseur. Mais je refuse de rester les bras croisés. Après sa visite, je trouverai un moyen d’en apprendre plus sur ce qui est arrivé à Alice, avec ou sans votre bénédiction. »
M. Lemoine échangea un regard préoccupé avec son épouse avant d’acquiescer lentement.
« Nous en reparlerons une fois les négociations terminées. Pour l’instant, concentre-toi sur ce que tu fais de mieux : préparer un accueil digne de ce nom pour notre invité. »
Raphaël serra les dents, puis quitta le bureau sans un mot, le cœur tiraillé entre le devoir envers sa famille et son envie de justice pour Alice.