Dans la chambre, Alice était allongée, les yeux mi-clos. Son visage restait pâle, fragile, et ses mouvements semblaient pesants, comme si son corps hésitait à reprendre vie. Quand Mme Lemoine et Camille entrèrent avec une tasse fumante, elle tourna lentement la tête, ses yeux fuyants rencontrant ceux de Mme Lemoine. Un petit sourire timide se dessina sur ses lèvres, mais il portait toujours une ombre de confusion.
« Bonjour, Alice, » dit doucement Mme Lemoine en s’approchant du lit. Sa voix était pleine de chaleur, mais aussi de douceur, comme un baume. « Je vous ai apporté quelque chose pour vous aider à vous sentir mieux. »
Alice ouvrit les lèvres, sa voix faible mais audible. « Merci... mais... je ne suis pas sûre que ce soit mon nom. » Ses mots flottèrent dans l’air, suspendus entre une certitude floue et un désarroi profond. Ses yeux se perdirent dans les plis de la couverture, comme si elle cherchait une réponse dans les motifs du tissu.
Camille, silencieuse jusqu’ici, s’assit doucement sur le bord du lit. Un sourire rassurant se dessina sur ses lèvres, mais ses yeux trahissaient une inquiétude que, de toute évidence, elle peinait à cacher. « C’est le seul indice que nous avons, et... » Elle chercha les mots avec précaution. « Ça vous va bien. Jusqu’à ce que vous vous souveniez de plus, cela pourra suffire, non ? »
Alice baissa les yeux, ses mains tremblant légèrement alors qu’elle jouait avec un pli dans la couverture. « Peut-être... » murmura-t-elle, sa voix presque imperceptible. « Mais... je n’arrive pas à me débarrasser de cette impression... que quelque chose me manque. Comme un vide. Une partie de moi que je ne retrouve plus. »
Mme Lemoine posa une main douce et réconfortante sur celle d’Alice. « Prenez votre temps, ma chère. Il n'y a aucune hâte. Ce qui compte, c’est que vous soyez en sécurité maintenant. Le reste viendra quand ce sera le bon moment. » Elle parla comme si elle connaissait déjà le chemin que suivait Alice, chaque mot pesé, calme, comme un murmure réconfortant dans la tempête.
Alice hocha lentement la tête. Ses yeux émeraude brillaient faiblement, reflétant la lumière tamisée de la chambre. Elle semblait vouloir dire quelque chose, mais se tut, comme si ses pensées étaient trop confuses pour être formulées. Camille, voyant la lutte intérieure qui se jouait dans son regard, murmura doucement.
« Vous n’êtes pas seule ici, » dit-elle, son ton calme mais ferme. « Nous serons là, quoi qu’il arrive. »
La phrase s’immisça dans le silence de la pièce, une promesse discrète mais puissante. Alice laissa échapper un faible soupir, mais son regard semblait chercher quelque chose de plus, comme si les mots, bien que rassurants, ne pouvaient combler le gouffre qu’elle ressentait en elle.
Plus tard, Alice avait quitté le confort de sa chambre pour s'aventurer dans les jardins des Lemoine. Accompagnée de Camille, elle marchait lentement, comme si chaque pas était une petite victoire. Une écharpe douce, qu’on lui avait prêtée, était posée sur ses épaules pour la protéger de la fraîcheur de l’après-midi. L’air était doux et parfumé, un mélange enivrant de roses et de glycines qui grimpaient sur les arches en fer forgé, leurs fleurs dansant au gré du vent léger. Chaque souffle de l’air semblait lui insuffler un peu de force, mais elle restait fragile, chaque mouvement calculé, prudent.
Camille, attentive à chaque nuance de son état, lui parlait doucement, tentant de distraire son esprit tout en la guidant dans ce petit monde végétal. « Ici, ce sont les pivoines que maman adore, et là-bas, les herbes aromatiques. Papa les utilise parfois pour cuisiner, mais ne lui dis pas que je t’ai dit ça, il préfère qu’on pense qu’il ne met jamais les pieds dans la cuisine, » plaisanta-t-elle, son sourire sincère et complice. Alice esquissa un petit sourire, et pour la première fois depuis des jours, ses traits se détendirent un peu.
Mais alors qu’elles contournaient un petit sentier bordé de buissons, des aboiements joyeux attirèrent leur attention. La chienne des Lemoine, une magnifique Golden-Retriever couleur sable, surgit soudainement entre les buissons, suivie par une ribambelle de chiots maladroits. Leur enthousiasme débordant était contagieux. Les petits, encore chancelants sur leurs pattes, trottinaient comme s’ils découvraient pour la première fois la sensation du sol sous leurs pieds.
Camille s’accroupit pour caresser la chienne. « C’est Étoile, » dit-elle à Alice avec un ton affectueux. « Et voici ses petits. Ils n’ont pas encore tous de noms. Vous voulez essayer de les nommer ? »
Alice s’agenouilla doucement sur l’herbe, ses gestes lents et mesurés. Un des chiots, plus curieux que les autres, s’approcha d’elle, remuant sa queue avec excitation. Elle tendit la main, et ses doigts frôlèrent doucement la tête ronde du petit chien. « Il est adorable, » murmura-t-elle, un sourire timide, presque timide, éclatant sur ses lèvres.
Camille, les yeux brillants d’excitation, attendit. « Comment l’appelleriez-vous ? »
Alice regarda le chiot un instant, réfléchissant. Ses yeux se perdirent dans la douceur de sa fourrure, et l’idée se forma presque instinctivement. « Peut-être… Espoir ? » proposa-t-elle, sa voix douce, hésitante.
Camille sourit largement. « Espoir ? C’est parfait. »
Les minutes passèrent, et Alice semblait de plus en plus détendue, presque insouciante. Le petit chiot, qu’elle avait baptisé Espoir, grimpait sur ses genoux, cherchant de l’attention, ce qui déclencha un éclat de rire cristallin chez Alice. Ce rire, si rare depuis son arrivée, résonna comme une mélodie douce, et Camille le capta, un sourire tendre se dessinant sur ses lèvres. « Vous voyez ? Les animaux ont une façon magique de guérir le cœur. »
Alice acquiesça silencieusement, les yeux rivés sur les chiots. Pendant un bref instant, elle oubliait les ombres de son passé, se laissant envahir par la simplicité de ce moment. Mais dans le fond de son esprit, une question persistait, un écho qui ne se dissipait pas. Pourquoi ces instants, si réconfortants, semblaient-ils à la fois familiers et étrangers ?
Mme Lemoine les rejoignit un peu plus tard, portant un panier à la main. Elle l’ouvrit avec un sourire tendre, dévoilant des tartes aux fruits qu’elle avait faites préparer pour leur promenade. Elle observa la scène avec une satisfaction silencieuse, s'asseyant sur un banc proche. « Vous semblez aller mieux, Alice, » dit-elle, un sourire apaisé sur le visage. « C’est bon de vous voir sourire. »
Alice leva les yeux vers Mme Lemoine. Ses traits étaient empreints de gratitude, mais aussi d’une légère mélancolie. « Merci… pour tout ce que vous faites. » Ses mots étaient sincères, mais une ombre restait dans son regard. « Je ne sais pas comment vous remercier. »
Mme Lemoine secoua doucement la tête, un sourire doux aux lèvres. « Vous n’avez rien à prouver, ma chère. Prenez simplement soin de vous. C’est tout ce que nous demandons. »
Alice baissa les yeux, caressant distraitement un chiot endormi sur ses genoux. Malgré la chaleur et le calme de cette famille, une petite voix persistait dans sa tête, murmurant qu’elle appartenait ailleurs. Mais pour l’instant, elle choisit de ne pas l’écouter, se perdant dans la douceur de l'instant, entourée de vie, de tendresse et de promesses non formulées.