Pendant que les Lemoine et M. Montbrun discutaient dans le salon voisin, Célia se réveillait lentement. Le plafond blanc éclatant de la suite réservée à elle et son père semblait aussi froid et impersonnel que la situation dans laquelle elle se retrouvait. (Qu'est-ce qui vient de se passer ? Alice…) Son cœur se serra à cette simple pensée. Elle se redressa brusquement sur le lit, l’esprit en chaos. (Non… c’est impossible. Elle ne peut pas m’avoir effacée de sa mémoire.) Elle secoua la tête. « Je refuse d’y croire. »
Le sentiment d’impuissance grandissait en elle, mais un autre plus insistant la poussait à agir. (Elle croit vraiment être en sécurité ici ? Elle secoua la tête. Non, Alice avait besoin d’elle, et Célia ne pouvait rester là, inerte, à attendre. Il était hors de question qu’elle se résigne à croire que tout était terminé, que tout allait bien.
Elle se leva brusquement et sortit de la chambre, décidée à la retrouver. Ses pas résonnaient dans les couloirs déserts, l’écho de ses doutes se mêlant aux bruits de ses pas précipités. Elle s’engagea dans des passages qu’elle ne reconnaissait pas, toujours plus perdue dans le dédale du manoir. Ses pensées étaient un tourbillon, chaque porte qu’elle croisait la poussait un peu plus loin de la réalité. Mais elle s'arrêta soudainement, attirée par des murmures provenant d'un coin de couloir.
Deux servantes passaient devant elle, leur conversation piquant sa curiosité.
« Vous avez vu la demoiselle ? On dirait qu’elle a un lien avec Mlle Alice ! »
Oui, on dirait bien. Mais quel lien ? Elles ne semblent pas en bons termes ! Mlle Alice s’est effondrée tellement elle avait peur d’elle ! »
Célia se figea, son cœur battant plus fort à cette révélation. Elle se pencha discrètement pour ne pas être vue, écoutant attentivement.
« Ah bon, la pauvre. Elle a déjà vécu tant de mésaventures. »
Une troisième voix se joignit à la conversation. Une autre servante, tenant un plateau de petits gâteaux, se glissa dans la discussion avec une expression pleine de compassion.
« Vous m'en direz tant, nous aussi nous devons la protéger, elle est si gentille. En plus, elle semble plaire au jeune maître. »
« Oh ça ! Tu l'as dit. Tu savais qu'elle est la jeune fille qui a protégé Etoile quand elle n'était encore qu'un chiot ? »
Célia se mordit la lèvre, ses mains serrées contre sa poitrine. (Ne mentez pas,) pensa-t-elle, la colère montant en elle. (Je ne lui ferais jamais de mal, ne parlez pas sans savoir.)
« Oui, j'en ai entendu parler. Elle ne mérite pas ce qui lui arrive. » dit la servante.
Célia se sentit déstabilisée par ces propos. Non, elle ne croyait pas ce qu’elles disaient. Mais l'angoisse grandissait. Elle n’arrivait plus à distinguer la vérité de ce qu’elle imaginait.
« Je suis tout à fait d'accord. Je vais vous laisser, je pense qu'elle doit avoir faim après tout ces émotions. »
« Aucun problème, prends ton temps. »
Célia, malgré son désarroi, suivit la servante discrètement, décidée à aller jusqu’au bout. Elle devait retrouver Alice, lui montrer qu’elle n’avait rien à craindre, qu’elle n’était pas seule. Elle la suivit à travers les couloirs, le bruit des petites chausses de la servante résonnant sur le sol de pierre. Ils arrivèrent devant la chambre d'Alice, et Célia attendit dans l'ombre, cachée par un repli du mur. Elle se redressa, prête à entrer. Mais avant cela, un dernier regard vers les servantes qui la précédait. (Non, rien ne se passera comme elles l'ont dit. Je ne permettrai pas que ça arrive.)
Elle souffla un coup, puis s'avança.
Célia attendit que la servante soit sortie avant d’ouvrir brusquement les portes de la chambre.
« Alice, tu n’es pas en sécurité ici ! Mon père veut te sortir d’ici et te protéger. »
À peine avait-elle prononcé ces mots qu’un aboiement féroce retentit. Etoile, qui reposait sur le lit, bondit immédiatement et se plaça devant Alice, grondant avec méfiance. Alice, quant à elle, se recroquevilla dans les bras de Raphaël, tremblante, tandis que les petits chiots, jusque-là endormis, se mirent eux aussi à aboyer bruyamment.
Célia serra les poings en voyant la scène.
« Éloignez-vous d’elle, espèce de pervers ! » s’exclama-t-elle en fixant Raphaël avec colère.
Celui-ci ne broncha pas, mais son regard se fit plus dur.
« Tu oses m’insulter sous mon propre toit ? Et c’est toi qui oses parler après avoir fait irruption ici sans y être invitée ? » Il désigna Alice d’un mouvement du menton. « Tu ne vois pas que tu l’effraies ? »
Alice releva soudain la tête et, avant que Célia ne puisse répondre, elle hurla :
« Tu oses dire ça après que ton père et toi avez voulu me tuer ?! »
Sa voix, d’abord forte et accusatrice, s’éteignit presque sur les derniers mots. Un silence pesant s’installa.
Célia abasourdie, ouvrit la bouche sans trouver immédiatement les mots.
« Non… Non, jamais ! Le plan n’a jamais été de te tuer, Alice ! Il s’agissait de te libérer, pour que tu vives la vie que tu souhaites ! »
Son regard se posa sur une petite table non loin du lit, où plusieurs esquisses de vêtements étaient étalées.
« Tu as toujours voulu créer tes propres designs de mode... » souffla-t-elle, comme pour lui rappeler ses rêves d’autrefois.
Raphaël posa son regard sur Alice, puis sur Célia, avant de prendre la parole d’un ton ferme :
« Nous allons rejoindre ton père et mes parents dans le grand salon. Là-bas, vous expliquerez tout. »
Son regard se durcit un instant.
« Et qui sait ? Ton père a peut-être déjà tout avoué. Sinon, nous tirerons cette histoire au clair. »
Alice aurait dû rester ici, elle avait besoin de repos. Mais elle s’accrocha à Raphaël, déterminée.
« Je viens avec vous. »
Raphaël fronça légèrement les sourcils.
« Alice... »
« Je veux savoir la vérité. » trancha-t-elle, sa voix encore fragile mais résolue.
Voyant qu’elle était encore trop faible pour marcher, Raphaël finit par céder et la prit dans ses bras. Alice ne protesta pas et posa doucement sa tête contre lui, épuisée mais déterminée.
Etoile et ses chiots voulurent les suivre, mais Alice leur adressa un regard tendre avant de murmurer :
« Reste ici, ma belle. Prends soin de tes petits. Je reviens vite. »
La chienne hésita, puis recula doucement, baissant la tête. Célia lui lança un dernier regard… mais cette fois, Etoile se détourna d’elle.
Un pincement serra son cœur, mais elle n’en montra rien et emboîta le pas à Raphaël et Alice. L’heure des révélations approchait.