La journée avait commencé paisiblement pour les Lemoine. Comme à leur habitude lors des jours de repos, la famille prenait son temps pour profiter de la matinée. M. Lemoine, un homme méthodique, avait vérifié plusieurs fois que tout était prêt pour leur sortie mensuelle : le panier de pique-nique était rempli de mets soigneusement préparés la veille, la nappe à carreaux soigneusement pliée, et les serviettes de bain roulées avec soin.
Pendant ce temps, Mme Lemoine veillait à ce que Mlle Lemoine ne manque de rien, insistant pour qu’elle prenne son chapeau de paille et sa robe légère. La jeune fille, encore pleine de l’énergie propre à son âge, trépignait d’impatience, rêvant déjà du moment où elle pourrait plonger dans l’eau fraîche du lac.
Le départ eut lieu en fin de matinée, après un copieux petit-déjeuner partagé dans une ambiance joyeuse. Ils prirent la route en calèche, traversant les sentiers forestiers qui bordaient leur domaine. Le chant des oiseaux et l’odeur des pins accompagnaient leur trajet, rendant l’atmosphère encore plus idyllique.
Ce n’est qu’en début d’après-midi, vers treize heures, qu’ils arrivèrent sur le site qu’ils avaient choisi, une clairière en bordure du lac. Ce lieu, qu’ils fréquentaient depuis plusieurs années, offrait un équilibre parfait entre des coins baignés de soleil et des zones ombragées par de vieux chênes.
Comme à leur habitude, ils s’installèrent avec soin. M. Lemoine déplia la nappe pendant que Mme Lemoine disposait les plats. Mlle Lemoine, quant à elle, courait déjà autour de la clairière, excitée à l’idée de se baigner plus tard. Les rires fusèrent bientôt, mêlés aux bruits du lac tout proche.
Après avoir savouré leur déjeuner, chacun se leva pour se dégourdir. Ils discutaient joyeusement des jeux qu’ils pourraient faire, lorsqu’une proposition fut lancée.
« Et si on jouait à cache-cache dans la forêt ? » suggéra Mlle Lemoine, les yeux pétillants d'enthousiasme.
« Une bonne idée, ma chère, » répondit son père en souriant. « Mais que dirais-tu d’une course jusqu’au lac ? Le premier à y arriver gagne ! »
Mme Lemoine acquiesça en souriant :
« Un peu de mouvement ne fera pas de mal, mais n'oublions pas de profiter de ce moment de détente. »
C’est dans cette atmosphère de bonheur tranquille que Mme Lemoine proposa à sa fille de se baigner. Enthousiastes, elles descendirent vers la petite plage de sable doré. Mais alors que Mlle Lemoine s’apprêtait à entrer dans l’eau, son regard se figea, son sourire s’effaça.
Sous le doux clapotis des vagues, une silhouette reposait immobile, à moitié immergée. Son souffle se coupa brusquement. Ses jambes tremblèrent, et un frisson glacial parcourut son échine. Ses lèvres s’ouvrirent, mais aucun son n’en sortit pendant une seconde interminable. Puis, enfin, un cri strident s’échappa de sa gorge, brisant le calme paisible de la forêt.
Alertée, Mme Lemoine accourut et, en découvrant la scène, elle comprit l’urgence de la situation.
« Va chercher ton père, vite ! ordonna-t-elle d’une voix ferme, bien qu’un frisson d’effroi la parcourût. »
Tandis que Mlle Lemoine courait vers leur campement, Mme Lemoine s’approcha avec prudence du corps inanimé. Ses mains tremblaient, mais une étrange détermination l’habitait.
Quand M. Lemoine et les domestiques arrivèrent, il s’arrêta net. L’un des domestiques, en apercevant la silhouette inerte, porta une main tremblante à sa bouche. Un autre, plus pragmatique, s’agenouilla immédiatement à côté du corps et demanda d’une voix pressante :
« Respire-t-elle encore ? »
M. Lemoine s’accroupit aux côtés de sa femme et examina rapidement la jeune femme.
« Je... je veux que vous soigniez cette jeune femme immédiatement, ordonna-t-il d'une voix ferme. Faites tout ce qui est nécessaire et préparez la calèche. »
Les domestiques s’exécutèrent, transportant la jeune femme avec précaution vers le manoir.
Lorsque la calèche s'arrêta enfin devant la demeure, les domestiques s’empressèrent de la faire descendre. Mme Lemoine, visiblement ébranlée, suivit chaque geste avec une attention fébrile.
« Faites vite, elle n'a pas de temps à perdre, » insista-t-elle, son regard fixé sur la silhouette fragile.
Un domestique partit chercher le médecin, tandis que Camille, encore sous le choc, était emmenée par sa nounou qui tentait de la rassurer.
« Tout ira bien, Camille. Repose-toi, » murmura-t-elle.
Mais Mme Lemoine ne pouvait détacher son regard du visage de l’inconnue. Une étrange impression s’empara d’elle. Comme si, quelque part, elle connaissait déjà cette femme…
Quelques instants plus tard, le médecin entra dans la chambre, son regard sérieux.
« Mme, M., la jeune femme est stable pour l’instant. Cependant, son état reste très critique. Elle a une plaie profonde à la tête, plusieurs contusions sur le corps, et son bras gauche est cassé. Nous avons administré les premiers soins, mais il faudra attendre son réveil pour en savoir plus. »
Il marqua une pause avant d’ajouter, plus gravement :
« Son corps est affaibli. Il faudra plusieurs jours pour voir si elle peut s’en remettre. Pour l’instant, nous ne pouvons rien faire d’autre qu’attendre… et espérer. »
Mme Lemoine acquiesça, les yeux pleins de larmes retenues.
« Merci, Docteur, » murmura-t-elle.
M. Lemoine posa une main rassurante sur son épaule.
« Allons rester près d'elle, nous devons être prêts à tout. »
Alors que la nuit tombait sur le manoir, un silence lourd s’installa. La maison tout entière semblait suspendue à l’incertitude de l’avenir de cette jeune femme, qui, à cet instant, n’était qu’un fragile fil entre la vie et la mort.