Camille entra doucement dans la chambre d’Alice, un plateau à la main, suivie de deux servantes portant des objets divers : une pile de livres, un coffret contenant du matériel de broderie et de couture, ainsi qu’un nécessaire à dessin soigneusement disposé dans une petite boîte en bois.
« Bonsoir, Alice, » dit Camille d’une voix douce en posant le plateau sur la petite table près du lit. « Comment vous sentez-vous ce soir ? J’ai pensé que quelques distractions pourraient vous faire du bien. »
Alice, adossée à ses oreillers, lui offrit un sourire timide. « Merci, Camille. Vous êtes vraiment attentionnée. »
Camille lui rendit son sourire tout en disposant les objets sur la table. « Je ne fais que ce qui me semble juste. Vous avez besoin de vous occuper l’esprit. Après tout, le repos, ce n’est pas que pour le corps, mais aussi pour l’âme. »
Le crépuscule s’infiltrait doucement à travers la fenêtre, projetant des ombres longues sur les murs de la chambre. L’air était frais, apportant avec lui une douceur agréable. Alice regarda Camille avec gratitude, mais ses yeux trahissaient toujours une forme de confusion, comme si elle ne parvenait pas tout à fait à se détacher des souvenirs effacés.
Pendant qu’Alice mangeait, Camille s’assit à ses côtés, engageant une conversation légère sur le quotidien de la maison, les livres qu’elle avait apportés, et même les fleurs du jardin. Alice, bien que réservée, semblait apprécier la compagnie et l’atmosphère chaleureuse de la soirée.
Lorsque le repas fut terminé, Camille lui tendit les différents objets qu’elle avait apportés. « Alors, qu’est-ce qui vous tente ? La broderie, le dessin ou peut-être un bon livre ? »
Alice observa les options devant elle, ses doigts effleurant instinctivement le matériel de dessin. Un frisson d’hésitation traversa son corps. Il y avait quelque chose de familier dans ces crayons et ces feuilles blanches, quelque chose qu’elle ne pouvait pas nommer. « Je ne sais pas pourquoi, mais... je crois que je vais essayer ça, » dit-elle, hésitante, comme si ce geste allait faire surgir quelque chose qu’elle ne contrôlait pas.
« Parfait, » répondit Camille en souriant. Elle prit son propre matériel de broderie et s’installa à côté d’Alice, laissant cette dernière se plonger dans ses croquis.
Les minutes s’écoulèrent dans un silence agréable, seulement troublé par le grattement léger du crayon sur le papier et le cliquetis de l’aiguille traversant le tissu. Camille, concentrée sur sa broderie, leva les yeux par curiosité. Elle fut frappée de voir qu’Alice avait utilisé plusieurs feuilles et travaillait avec une rapidité étonnante, comme si l’inspiration se déversait d’elle sans qu’elle puisse la retenir.
« Vous avez déjà terminé une feuille ? » demanda Camille, intriguée.
Alice, absorbée dans son travail, releva timidement les yeux. « Oui... j’avais cette idée en tête et je... je ne sais pas, je devais la poser sur le papier. »
Camille se leva et prit l’une des feuilles. Ses yeux s’écarquillèrent à la vue du croquis : une robe élégante, d’une finesse remarquable, avec des détails de broderie délicats et un jeu d’ombres qui lui donnait vie. Chaque pli du tissu semblait presque palpable, chaque ligne semblait raconter une histoire.
« Mais c’est incroyable, Alice ! Ces croquis... ils sont magnifiques ! » dit-elle, émerveillée.
Alice rougit, baissant les yeux sur ses mains. « Vous trouvez ? Je... je ne sais pas. Je ne pense pas que ce soit si bien. J’ai juste... griffonné quelque chose. »
« Non, vraiment, regardez ça ! » Camille parcourut les feuilles, découvrant d’autres croquis, tous aussi impressionnants. Chaque dessin semblait raconter une histoire, des robes de soirée sophistiquées aux tenues plus légères et modernes. L’une d’elles, représentant une silhouette enveloppée dans des tissus vaporeux, semblait presque effleurée par une brise invisible, tandis qu’une autre dégageait une aura plus sombre, avec des lignes nettes et audacieuses.
« C’est du véritable talent, Alice. Vous devriez être fière ! » ajouta Camille, son enthousiasme palpable.
Alice détourna les yeux, mal à l’aise. « Je... je ne sais pas d’où ça vient. J’ai l’impression que ça me dépasse. Comme si c’était naturel, mais en même temps, je ne me souviens pas d’avoir appris à dessiner... » Sa voix se brisa légèrement. Un frisson d’incertitude passa sur son visage, mais elle choisit de ne pas en parler davantage, comme si évoquer ces pensées la pousserait dans une direction qu’elle n’était pas prête à explorer.
Avant que Camille ne puisse répondre, la porte s’ouvrit et Mme Lemoine entra. « Comment va Alice ce soir ? » demanda-t-elle en avançant vers le lit.
« Elle va très bien, maman, » répondit Camille avec enthousiasme, levant les croquis dans ses mains. « Regarde ça ! Alice a dessiné tout ça en quelques minutes ! »
Mme Lemoine s’approcha, prenant les feuilles entre ses mains. Ses sourcils se haussèrent à mesure qu’elle les observait attentivement. « C’est... remarquable. Ces croquis sont dignes d’un véritable créateur. Vous avez un talent extraordinaire, Alice. » Elle posa un regard appuyé sur sa fille. « Ces dessins... ils sont empreints d’une sorte de... de sérénité. »
Alice rougit davantage, gênée par tant de compliments. « Merci, Mme, mais je pense que vous exagérez un peu... »
« Pas du tout, » répondit Elise avec assurance. « Avec des créations pareilles, vous pourriez travailler pour les plus grandes maisons de couture. » Elle se tourna ensuite vers Camille. « Ce n’est pas juste une question de talent, mais de vision. » Elle observa Alice avec plus de profondeur, comme si elle cherchait à lire au-delà de ce qui était simplement visible. « Ces dessins, ils me disent quelque chose. »
Alice détourna le regard, le visage en feu, incapable de répondre. Un malaise s’installa, un écho du vide qu’elle ressentait toujours. Pourquoi ces dessins la laissaient-ils si perdue, comme si elle y voyait une part d’elle-même qu’elle ne pouvait atteindre ?
Camille, toujours enthousiaste, ajouta : « C’est fascinant, maman, pas seulement son talent, mais aussi le fait qu’elle ait choisi de dessiner sans même réfléchir. C’est peut-être une piste sur qui elle est, tu ne crois pas ? »
Mme Lemoine acquiesça lentement, un air pensif sur le visage. « Oui, peut-être que ces dessins nous en diront plus sur vous, Alice. Mais ne vous forcez pas. Ce talent, il est en vous. Laissez-le simplement s’exprimer quand vous en ressentirez le besoin. » Elle sourit tendrement à Alice, comme pour la rassurer. « Laissez les choses venir à vous. »
Alice hocha la tête, un léger sourire naissant sur ses lèvres. Pour la première fois depuis son réveil, elle se sentait moins perdue. Peut-être que ces dessins étaient une clé, une trace vers un passé oublié, et surtout, une partie d’elle-même qu’elle pourrait enfin retrouver. Un murmure d’espoir traversa son cœur, comme si quelque chose de plus grand se préparait, mais elle choisit de ne pas y penser davantage. Elle se concentra sur la douceur du moment présent, sur les croquis, sur cette part de vérité qu’elle venait peut-être de découvrir, sans tout à fait savoir ce que cela signifierait pour elle.