Les jours s’étaient écoulés avec une étrange légèreté, suspendus dans un entre-deux. Alice passait ses matinées dans l’atelier, ses mains immergées dans les étoffes, les idées tournoyant dans son esprit, comme une danse silencieuse. Malgré l'inspiration qui semblait l'habiter, une ombre persistait : celle des retrouvailles à venir.
Le cinquième jour arriva.
Dans le grand salon du domaine, les préparatifs se déroulaient avec l'efficacité habituelle de la famille Lemoine. Un goûter élégant était prévu pour accueillir Célia de Montbrun et ses invitées d’honneur : les jumelles Élodie et Louise de Valmont.
Alice observait, les yeux perdus dans la lueur du soleil qui filtrait à travers les fenêtres, son cœur étrangement serré.
« Tu ne veux pas venir t’installer avec nous ? » demanda Camille, portant un plateau de pâtisseries.
Alice se força à sourire.
« J’arrive… je prends juste une minute. »
Camille hocha la tête et s’éloigna, un parfum de sucre vanillé flottant dans l’air.
La voiture franchit à peine le portail que l'agitation discrète du domaine Lemoine se fit sentir. Le majordome ouvrit les portes, et bientôt, les pas feutrés des nouvelles arrivantes résonnèrent sur le marbre du grand vestibule. Célia entra la première, radieuse. Élodie et Louise la suivirent, leurs regards brillants de curiosité, fascinées par l’élégance paisible du lieu.
« C’est magnifique ici, » murmura Élodie, émerveillée, en tournant sur elle-même.
« Et que de lumière ! » ajouta Louise. « On dirait un tableau vivant… »
Mme Lemoine s’avança pour les saluer.
« Bienvenue, mesdemoiselles. Célia nous a beaucoup parlé de vous. »
« Et nous d’elle, » répondit Élodie avec un sourire. « Elle nous a parlé… de votre styliste aussi. »
Le regard de Mme Lemoine se posa un instant sur Célia, avant de se tourner vers les jumelles.
« Ah… Elle est effectivement remarquable. Elle nous a rejoint il y a plusieurs mois et a profondément changé notre manière de travailler. Sa vision est singulière, son style… instinctif. Elle conçoit comme on respire. »
Louise, intriguée, échangea un regard avec sa sœur.
« Et elle travaille ici à plein temps ? » demanda-t-elle.
« Elle vit ici, précisa Célia, » le regard brillant. « Elle a trouvé un refuge parmi la famille Lemoine. Mais je ne vous ai pas encore révélé son nom, car je voulais que vous la découvriez sans a priori. Ce qu’elle crée parle pour elle. »
« C’est étrange, » souffla Élodie. « J’ai eu l’impression de reconnaître quelque chose dans ses croquis que tu nous as montrés… Il y avait une émotion familière. »
Célia esquissa un sourire énigmatique.
À l’écart, Alice sentit une tension familière grimper dans sa gorge. Une chaleur étrange lui monta aux joues. Elle inspira profondément, comme si l’air autour d’elle s’était épaissi, suspendu dans une attente silencieuse. Une part d’elle comprenait, sans vraiment savoir pourquoi, que l’instant à venir allait tout faire basculer.
« Mlle, la Styliste, » annonça solennellement le majordome.