Mme Lemoine et Raphaël pénétrèrent dans le bureau, où M. Lemoine, assis derrière son large bureau en acajou, releva les yeux, surpris mais ravi de revoir son fils.
« Raphaël ! Quelle agréable surprise de te voir de retour de la capitale. J’espère que tu as de bonnes nouvelles à nous apporter. »
M. Lemoine, curieux, se leva pour l’accueillir, une étincelle d’espoir dans le regard.
« Comment vas-tu, mon fils ? As-tu découvert de nouveaux talents artistiques intéressés par nos affaires ? »
Raphaël acquiesça avec un léger sourire, confirmant les attentes de son père.
« Oui, père. J’ai eu la chance de rencontrer trois artistes prometteurs : un peintre spécialisé dans les fresques abstraites, une sculptrice renommée pour ses œuvres en verre, et un jeune musicien talentueux. Tous trois se sont montrés intéressés à collaborer avec notre maison. »
M. Lemoine hocha la tête, visiblement satisfait.
« Excellentes nouvelles, Raphaël. Ces talents enrichiront encore notre réputation. »
Mme Lemoine, qui était restée silencieuse jusque-là, intervint soudain d’un ton plus grave :
« Mon cher, avant d’aller plus loin, je pense qu’il est important d’informer Raphaël des recherches concernant Alice. »
Intrigué, M. Lemoine fronça les sourcils.
« Pourquoi veux-tu que je lui parle de cela, ma chère ? »
Mme Lemoine soupira doucement avant d’expliquer :
« Parce qu’il pense détenir une information qui pourrait concerner Alice. Mais avant qu’il ne nous en parle, je trouvais essentiel qu’il connaisse toute la situation. Malheureusement, il l’a effrayée dans le jardin tout à l’heure sans le vouloir. La pauvre fille était terrorisée. »
M. Lemoine hocha la tête, comprenant la gravité de la situation, et résuma rapidement à Raphaël les recherches entreprises concernant Alice, sa disparition, et les circonstances qui avaient conduit à son arrivée chez eux.
Après un court silence, Raphaël, l’air sérieux, prit enfin la parole :
« Il y a quelque chose que j’ai entendu à la capitale, il y a un peu plus d’un mois. Une rumeur… Un scandale aurait éclaté dans un cercle très fermé. On raconte que, lors d’une fête extrêmement importante, deux jeunes filles ne se sont pas présentées comme prévu. Selon ces murmures, l’une d’elles aurait été retrouvée après qu’une rançon ait été payée. Mais la seconde jeune fille… elle n’a jamais été retrouvée. Étrangement, cette affaire semble avoir été étouffée dès qu’elle a commencé à circuler. »
Un silence tendu s’abattit dans le bureau. Mme Lemoine et M. Lemoine échangèrent un regard grave.
« Et tu penses que cette histoire pourrait être liée à Alice ? » demanda M. Lemoine, le ton chargé d’inquiétude.
Raphaël hocha lentement la tête.
« C’est une simple supposition, mais les détails semblent étrangement correspondre. Si cette rumeur a un lien avec elle, nous devons creuser davantage. »
M. Lemoine croisa les bras, visiblement préoccupé, réfléchissant déjà à la suite des événements. Il sentit que la situation devenait plus complexe et dangereuse que ce qu'il avait imaginé au départ.
C'est alors que Camille fit irruption dans le bureau, visiblement agitée. En apercevant ses parents et son frère réunis, elle se tourna immédiatement vers Raphaël, la colère perçant dans sa voix.
« Raphaël, va t'excuser auprès d'Alice pour lui avoir fait peur ! Tu ne te rends pas compte de ce que tu lui as fait revivre ! »
Surpris par le ton de sa sœur, Raphaël fronça les sourcils.
« Que se passe-t-il encore, Camille ? »
Avant qu'il ne puisse répondre, Camille poursuivit, la voix tremblante d'émotion :
« Alice... elle a eu tellement peur qu’elle s’est souvenue de ce qui lui est arrivé. Elle se rappelle maintenant pourquoi elle est tombée du haut de la cascade. Ce sont des hommes qui l’ont poussée. Ils voulaient la tuer ! »
Un silence glaçant s’abattit sur la pièce. Mme Lemoine, blême, demanda avec inquiétude :
« Comment peux-tu savoir cela, Camille ? »
Camille inspira profondément avant de répondre, les yeux brillants d’une détermination féroce.
« Quand elle paniquait, elle a commencé à dire des mots, des fragments de phrases. En les réunissant, j’ai compris ce qu’elle essayait de dire. Elle se rappelle de tout. Ce ne sont pas des souvenirs fragmentés, mais des vérités terrifiantes. »
M. Lemoine échangea un regard inquiet avec sa femme. Un frisson parcourut son échine. Alice, cette jeune fille douce et brisée, portait un lourd fardeau, et il ne savait pas si elle pourrait jamais se remettre de tout cela.
« Nous devons nous concentrer sur sa sécurité », déclara M. Lemoine, d’un ton résolu mais préoccupé. « Mais si elle a raison, et que des hommes sont responsables de ce qu’il lui est arrivé, nous ne devons pas les laisser la retrouver. Ce passé… il doit rester derrière elle. »
Raphaël observa son père, perplexe. Il comprenait la logique de la sécurité, mais quelque chose dans cette histoire l’intriguait profondément. Il se tourna vers M. Lemoine, l’air presque défiant.
« Abandonner les recherches ? Que voulez-vous dire par là, père ? »
M. Lemoine croisa les bras et répondit d’une voix grave :
« Cela signifie que nous n’allons pas remuer un passé dangereux qui pourrait la mettre à nouveau en péril. Nous devons respecter sa volonté de couper les ponts avec son passé. La lettre trouvée dans sa bourse indique clairement qu’elle veut oublier tout ce qui s’est passé avant. Notre priorité doit être de la protéger, pas de déterrer des fantômes. »
Raphaël garda le silence, ses pensées tournant à toute vitesse. Il savait qu'il y avait plus à découvrir, mais son père avait raison sur un point : si ces hommes étaient encore à la recherche d’Alice, creuser plus profondément pourrait être fatal pour elle. Pourtant, une part de lui n’arrivait pas à se résigner à abandonner.
Camille, quant à elle, semblait partagée entre la colère contre son frère et l’inquiétude pour Alice. Elle se tourna vers lui, avec une dureté qui faisait écho à sa propre détresse.
« Je ne veux pas voir Alice à nouveau traumatisée, Raphaël. Nous devons la laisser guérir ici, loin de tout ça. Elle n’est plus qu’une ombre de ce qu’elle était avant. »
Raphaël la regarda un instant, puis détourna les yeux, l’expression de plus en plus sombre. Il savait que les choses étaient loin d’être aussi simples. Mais pour l’instant, il n’avait d’autre choix que d’obéir à la décision de ses parents.
Un silence pesant s’installa à nouveau, chacun des membres de la famille perdu dans ses pensées. Alice, cette inconnue avec un passé si lourd, était désormais au cœur de toutes les préoccupations. Et tous, à leur manière, étaient conscients qu’aucune décision prise aujourd’hui ne pourrait effacer la réalité de ce qu’elle avait vécu.
Alors que la conversation se poursuivait dans le bureau, un sentiment d’inéluctable pesait sur la famille Lemoine. Des secrets étaient encore à découvrir, mais certains d’entre eux, mieux valait-il ne jamais les exhumer.