PDV Nao
Cela fait maintenant deux jours que ma belle-mère est décédée à la suite à son cancer.
Assis à la fenêtre, je regarde le paysage défiler sous mes yeux. Enfin, après de longues minutes de route, la voiture s'arrête devant un cimetière. Assis devant moi, Alwan descend du véhicule et m'ouvre la porte. Je sort également de l'habitacle.
Un grand portail se dresse devant nous. Il est en métal noir, entouré d’arbres bien taillés et de buissons entretenus.
Mon garde du corps se tient debout à quelques pas derrière moi. Ma sœur et mon frère viennent me rejoindre. Devant nous, Soren et William attendent mon père et son ami.
Le roi, les yeux rougis, bouffis et décoiffé arrive rapidement. Sans jeter un regard en arrière, il s'engage dans l'allée. Nous le suivons en silence.
Après deux minutes de marche, nous arrivons. Plusieurs tombes sont parfaitement alignées. Un terrain vert se tient un peu à l'écart. Des chaises sont alignées devant un fossé. Au premier rang, mes frères et sœurs s'assoient. Je me joins à eux et prends place sur une chaise. Mon garde du corps s'installe à côté de moi de même pour les personnes assurant la sécurité des autres membres de la famille royale.
✩
L'enterrement se déroule lentement. En face de moi, Kali s’adresse à moi.
— Nao ?
— Mmmh… oui ?
Je ne l'écoute qu'à moitié. De loin, j'observe mon père et mon oncle. Tous deux se recueillent sur la tombe de leur mère.
Le cimetière dans lequel nous nous trouvons est dédié aux membres de la noblesse. Chaque famille à un terrain dédié. Nous sommes actuellement sur celui qui appartient aux Torres.
— Ça va ? me questionne mon amie.
Je porte la main à mon cou et je déssert ma cravate. J'ai chaud. Il y a trop de bruit. Trop de monde. J'étouffe.
Pris de bouffée de chaleur, je chancelle. Alwan qui se tient à quelques mètres de là, le remarque. Il s'approche et me rattrape, m'évitant une chute devant tout le monde.
«Le Prince Nao… le pauvre », « Il me fait de la peine », «Il fait pitié… ».
Toutes sortes de chuchotements me parviennent jusqu'aux oreilles.
— Prince…
— J'ai juste chaud, expliqué-je à haute voix. J'ai… il y a trop de monde, murmuré-je à Alwan.
Pour ne rien arranger, les personnes bougent et parlent de plus en plus. Je porte les mains à mes oreilles et presse fort pour ne plus rien entendre.
La main sur mon épaule Alwan, me guide jusqu’à un endroit où il y a beaucoup moins de personnes et de bruits.
— Mettez-vous à l'ombre, je vais vous chercher de l'eau.
Installé par terre, le dos contre le tronc, je regarde Alwan courir chercher une bouteille d’eau. Il revient en quelques secondes à peine. Il me tend la bouteille fraîche que je récupère, ouvre et bois. Accroupi à mes côtés, il me demande inquiet ce qu'il s'est passé.
— J'avais juste chaud, et… avec le regard des autres, j’ai eu l'impression de ne plus pouvoir respirer. Le bruit et l’agitation soudaine n'ont pas aidé.
Alwan hoche la tête puis annonce :
— Dans ce cas, rentrons.
Son frère William se dirige vers nous. Il est accompagné de Kali.
— Tu vas bien ? me demande-t-il.
Je hoche lentement la tête. Ma meilleure amie s’approche et s’accroupit à côté de moi. Du fond de la poche de sa veste, elle sort un bonbon qu'elle me donne.
— Merci, murmuré-je.
Alwan se lève et m'aide à me mettre debout.
— Va prévenir papa que l'on rentre maintenant. Dis-lui que le prince ne se sent pas bien, demande Alwan.
D'un hochement de tête, Will s'exécute.
Al me soutient en passant son bras derrière mon dos. Lentement, il commence à marcher. J'accélère le pas.
— Doucement, prends ton temps.
— Non. Tout le monde nous regarde.
— Ok, soupire Alwan.
Tout en continuant de me tenir, il accélère le pas.
Sur notre passage, j'entends à nouveau des chuchotements.
«Il est petit en vrai», «Un mètre soixante sept, c'est petit pour un homme ». Ils ne sont vraiment pas discrets. «On dirait une fille ».
On… dirait une fille…
Arrivé devant la voiture, Alwan ouvre la portière et m'aide à monter. A son tour, il s’assoit sur un siège et le chauffeur démarre, direction le palais.
Durant tout le trajet, ces mots me reviennent en mémoire, tournant en boucle dans ma tête. «On dirait une fille».
«On dirait une fille».
«On dirait une fille»…
Encore et encore. Ton pour ton. Intonation pour intonation.
«On dirait une fille».
Je n'en peux plus. Je ne veux plus… Je ne veux plus entendre ça.
Je presse mes paumes sur mes oreilles pour tenter d'étouffer les mots.
«On dirait une fille».
J'éclate. Je pleure sans m'arrêter.
J'entends des voix autour de moi. Je ne comprends pas ce qui se dit. La voiture s'arrête. Une portière s'ouvre, puis se ferme. S'en suit une deuxième. Et encore une autre. Une bouffée d'air frais arrive jusqu'à mes poumons. Je tremble. De tout mon être, je tremble sans m'arrêter. Mon cœur tape contre ma cage thoracique. Je respire avec difficulté.
Je sens quelqu’un s'asseoir près de moi. Je crois qu'on me parle. Mais je ne comprends pas.
— Je peux ? finis-je par entendre.
Je hoche la tête. Il ne se passe rien. Alors, je parviens à parler d'une voix faible.
— Oui.
Deux mains me tournent vers lui. Le visage crispé d'inquiétude, Alwan essaye de masquer ses émotions sans succès. Il me prend dans ses bras et entreprend un léger mouvement de bascule. Il sait que ça me calme. Il inspire profondément. Je me cale sur son rythme respiratoire et mon cœur ralentit. Pour autant, mes larmes n'arrêtent pas de couler.
Petit à petit, j'arrive à me calmer grâce à son aide.
— Nao…
— Je ne suis pas une fille …, sangloté-je
Un instant de silence passe puis Alwan répond à voix basse :
— Oui, tu es un garçon. Tu es un garçon Nao.
Il me faut encore quelques minutes pour me calmer complètement.
— Je suis fatigué, je veux rentrer, marmonné-je, vidé de toute mon énergie.