PDV Tylor
Seul le son régulier du moniteur brise le silence de la pièce. Le médecin me regarde longuement, debout, face à moi vêtu de sa blouse blanche.
— Toutes mes condoléances, répète-t-il encore une fois.
Les yeux rivés sur les draps blanc de mon lit, je cligne une fois des yeux tentant de revenir sur terre.
Claire... morte...
Ces deux mots tournent en boucle dans ma tête.
— Monsieur... Vous allez bien ? commence le médecin.
Le souffle court, j'entends seulement la porte de la chambre s'ouvrir et des voix converser. Les yeux clos, je tente de redevenir maître de mon corps, de respirer moins vite, moins bruyamment. Mais c'est beaucoup trop difficile.
Un doute plane dans mon esprit et une petite voix dans ma tête répète en boucle des mots, une phrase. Les mêmes termes reviennent sans cesse. Ces paroles qui me disent que c'est moi qui aurais dû mourir à sa place. Ces mots qui me font constater une fois de plus que je suis indigne de vivre. Qu'une fois de plus, j'ai évité la mort mais que quelqu'un est partie à ma place. Une personne que j'aimais. Ma femme. Ma meilleure amie. La mère de mes enfants.
Une main sur mon dos fait de petits mouvements circulaires, tandis que ma respiration finit par se stabiliser. Contre mon visage, je sens mes doigts essuyer mes larmes. J'ouvre les paupières et lève le regard sur la personne assise à côté de moi. Alxas, les yeux cernés par la fatigue, m'observe avec attention.
— C'est moi qui aurais dû..., commencé-je.
— Ne dis rien, me chuchote Alxas.
La main sur ma joue, il approche ma tête de son épaule. Il passe ses doigts dans mes cheveux pendant que je pleure la mort de ma meilleure amie. Je l'entends me chuchoter des mots à l'oreille pour tenter de me consoler.
Mais rien n'y fait. La douleur est trop forte, trop présente.
Agrippé à mon meilleur ami d'enfance, je pleure sans m'arrêter. Je ne me cache pas. Parce que j'ai confiance en lui. Comme Claire, il est l'une des rares personnes qui m'ont vu pleurer. Plus que ma propre mère. Alxas m'a même vu dans des états pires que celui-ci. Comme lorsque mes parents m'ont renié, le jour où je me suis marié par devoir familial, ou la fois où ma mère est morte, emportée par la maladie. Et jamais il ne m'a jugé. jamais, il ne m'a forcé à parler. Il a toujours patiemment attendu que je m'ouvre à lui, que je m'exprime. Des années plus tôt, je lui ai fait part de mes tourments.
Il a toujours été à mes côtés. Et aujourd'hui encore, c'est le cas. Il s'est occupé de mes deux fils durant les quelques jours où j'ai été inconscient.
— Tylor..., chuchote mon vieil ami.
Je renifle et essuie mes larmes. Inquiet, Alxas me regarde longuement. Il me détaille du regard. J'ai le visage recouvert de bleus, désormais bien estompés pour la plupart. Il s'agit là de traces de l'accident de la route. Celui même qui a emporté Claire et qui m'a laissé sur terre.
— Alwan et William ? questionné-je.
— Ils vont bien, me rassure celui-ci. Ils sont au palais.
À cause de la fatigue, mon cerveau prend un certain temps à assimiler les informations.
— Ils sont là-bas depuis le début ?
— Non, m'avoue-t-il. J'ai essayé de les garder à mes côtés le plus longtemps possible. Mais avec ton père, ça a été un peu compliqué.
— D'accord... Merci.
Exténué, je me rallonge sur le lit inconfortable. Alxas reste à mes côtés, comme hésitant à m'avouer quelque chose.
— Dis-moi...
— Ce n'est pas à moi de te le dire, souffle-t-il.
— S'il te plaît...
Pendant de longues secondes, mon ami me regarde droit dans les yeux. Dans ses iris, je peux voir le doute et l'incertitude planer. Puis, il déglutit et finit par lâcher le morceau.
— Alwan... a... déclaré que... il ne voulait pas prendre ta succession.
Ces quelques mots me font l'effet d'une puissante gifle. Je pense aux conséquences que ça risque d'avoir, à l'énervement de mon père.
— Il a ... renié l'héritage..., chuchoté-je. Mon père ... comment...
La peur me prend en me rendant compte qu'il risque de vivre ce que moi j'ai subi une vingtaine d'années plus tôt.
— Il n'est pas encore au courant. Seuls So et moi même. En plus de toi maintenant.
Cette révélation ne me soulage que quelques instants.
— En fait... Il a déclaré vouloir rejoindre la garde royale.
Cette annonce finit de m'achever. Les nerfs craquer et une fois de plus, je me mets à pleurer. Alxas, comme toujours, tente de me rassurer. Sa main dans la mienne, il me regarde me calmer.
— Ça ... va être très compliqué pour lui, murmuré-je.
— J'ai déjà essayé de le convaincre. Il ne veut rien entendre. Il est aussi têtu que ...
Il ne termine pas sa phrase. Mais je comprends ce qu'il veut dire.
Alwan est aussi têtu que Claire.
— S'il est sûr, je ne peux rien y faire à part l'encourager.
Le roi hoche la tête alors que je serre les doigts. Nous nous rendons compte que nous nous tenons la main. Rouge d'embarras, il lâche mes doigts et détourne le regard. Moi aussi, je regarde ailleurs. Le bras levé sur mes yeux, je prends un instant pour me remettre de mes émotions.
Depuis la naissance de Soren et de Charlotte, les deux premiers enfants de mon ami, nous avons tous les deux pris la décision de mettre fin à notre relation. C'était il y a bientôt quatorze ans. Mais parfois, dans des moments de faiblesse, il arrive que nous ayons un rapprochement physique. Généralement, c'est à cause de moi. C'est moi, c'est toujours moi qui craque le premier.
À mes côtés, je le sens bouger. Alxas s'approche un peu plus de moi. Je ne bouge pas. Je ferme les yeux alors que les lèvres de mon ancien amant frôlent mon front. Son souffle atterrit sur ma main et près de mes oreilles, il me chuchote des excuses.
Il s'excuse car il vient d'enfreindre la promesse que nous nous sommes faite il y a quatorze ans de cela. Celle de ne rester qu'amis, jamais plus.
✩
Encore une fois, comme depuis des jours entiers maintenant, je me retiens de verser des larmes. Cette fois-ci, ce n'est pas dans la chambre d'hôpital, devant son corps ou devant la tombe de Claire. C'est devant mon géniteur.
La personne qui me fait office de père, se tient devant moi. Assis derrière son bureau, le dos droit, les doigts croisés sur le meuble, il me regarde froidement. Aucune émotion n'apparait sur son visage. C'est le cas aujourd'hui, hier et ça sera toujours le cas demain. En réalité, les seules fois où je le vois exprimer une émotion, c'est lorsque que je le déçois. À ces moments-là, la colère se lit plus que facilement sur son visage habituellement si neutre. Même le jour de la mort de ma mère, il était de marbre. Quoique, il avait l'air un peu chamboulé. Mais je ne suis pas sûr.
— Tylor, dit mon géniteur d'une voix froide, calme et contrôlée. Alwan a renoncé à l'héritage.
Debout face à lui, je serre les poings. Mon père n'est pas censé être au courant.
— Je ne sais pas ce que Claire et toi lui avez foutu dans le crâne, mais à douze ans son comportement me déçoit énormément, annonce-t-il. Le tien aussi.
Une fois de plus, je fais force pour rester maître de mes émotions.
— C'est toi qui aurait dû y passer, pas Claire, continue mon géniteur comme si de rien n'était.
Cette fois, c'en est trop. Une seule et unique larme coule le long de ma joue alors qu'un sanglot étouffé franchit mes lèvres. Honteux, je détourne le regard. Mes yeux croisent un portrait de famille. Une image prise lorsque j'étais bien plus jeune. Il y a une bonne vingtaine d'années déjà, à l'époque où tout allait bien.
Mon père, redevenu silencieux, me regarde encore plus sévèrement.
— Ne pleure pas. Ne sois pas faible, m'ordonne-t-il.
Mais rien à faire, les larmes coulent désormais dans le silence de mon cœur meurtri.
Hey !
Voici un nouveau chapitre, qui est un flash back. Ça change des derniers chapitres qui se déroulent dans le présent.
J’aprecie particulièrement cette scène pour plusieurs raisons, mais surtout pour l’interaction entre Tylor et Alxas ! Sans bien évidemment parler du fait que la décision d’Alwan aura bien des répercussions dans la futur !
Bref, j’ai assez parler.
A bientôt pour le prochain chapitre.
Yaya.