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JBDelroen
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Interlude

Une odeur alléchante se répandait dans toute la maisonnée, jusqu’à l’étage, ce qui fit sortir Noah de son antre, une des chambres qui s’alignaient sur la coursive intérieure. Elle dévala l’escalier d’un pas entraînant, sans faire attention au raffut qu’elle provoquait. C’était bien pratique que cet escalier donne directement sur la cuisine, pièce centrale du foyer, ainsi, elle avait une vue d’ensemble avant même d’arriver jusqu’à sa destination.

— Micaiaaaaaah ? Tu fais des muffins ? demanda innocemment la jumelle aînée.

La table était jonchée de saladiers, de fouets, de marquises et autres tasses, témoins d’une âpre bataille entre l’apprentie cuisinière et les futures gourmandises. Le meuble était fait d’un bois épais, accompagné de bancs plutôt que de chaises. Cela lui donnait des allures de table de pique-nique si ce n’était les nombreuses gravures fleuries et géométriques qui lui offraient quelques lettres de noblesse. C’était une des grandes fiertés de leur père, une de ses premières créations il y avait plus de quinze ans de cela. Les soins attentifs que ce dernier lui prodiguait avec amour lui permettaient de conserver un aspect neuf, comme tout juste sortie de son atelier. Et pourtant, elle en avait vu passer des bêtises, la plupart inventions des jumelles.

Micaiah était presque assise devant le four, surveillant nerveusement la cuisson des petits gâteaux qu’elle venait d'y mettre. Elle se mordillait le bout du pouce entre les dents, tout accroupie qu’elle était, ne jetant pas un regard à sa sœur pour le moment. Elle daigna quand même lui répondre.

— Oui, j’essaie de refaire la recette de la dernière fois.

— Celle aux myrtilles, tu veux dire ?

Noah était penchée au-dessus de la balustrade, s’étant finalement arrêtée au milieu de l’escalier. La jeune fille renifla l’odeur qui ne cessait de grimper sans aucune pudeur. La meilleure place si on lui posait la question, aspirant tout son saoul. Elle avait toujours eu un faible pour le sucre et le fumet lui mettait l’eau à la bouche. Un délice tout autant qu’un supplice. Elle salivait, oubliant son beau vernis civilisé. Ce n’était pas grave, elle était à la maison. Personne d’autre que Micaiah ne la verrait, et Micaiah savait déjà tout. Bien plus que leurs parents, tous deux absents, comme souvent.

— Oh oui ! Aux myrtilles ! Je pourrai en avoir ? Tu m’en feras un petit sachet pour demain ? Pour emmener au bahut !

Cette fois-ci, Micaiah leva les yeux vers elle. Elle gardait son air renfrogné en contraste avec l'humeur de gaieté constante de sa sœur. À croire qu’elle était née pour rester sauvage, faisant fi des bonnes manières, ces dernières ne prenant pas avec elle. Tout le contraire de Noah qui polissait son beau vernis de façade, se jetant à corps perdu pour briller aux yeux de leur société. Cela la désespérait que sa jumelle ne fasse pas plus d’effort de ce côté-là, défiant les ordres des plus puissants, cherchant toujours un moyen de désobéir. Peu importait au fond, songea l’adolescente, elle en paraissait deux fois plus étincelante et se faisait une bonne place dans la hiérarchie. Aaron l’avait bien remarquée, mais comme il la pensait toute acquise, il ne témoignait plus d'aucune ardeur à son encontre. Et elle était bien décidée à changer la donne.

— C’est d’accord, marmonna Micaiah. Mais tu les gardes pour toi, hein ?

Pour appuyer sa demande, la plus jeune des jumelles se redressa, mains sur les hanches et le menton levé. Elle avait beau se trouver en contrebas, son air défiant la mettait en position de force. Noah se mit à rire devant tant de bravache. Sa sœur ne changerait jamais, malgré les roustes qu’elle se prenait, que ce soit des autres ou de leurs parents.

— Bien sûr ! Ne t’inquiète pas que je vais les manger d’un coup ! Avec cette petite odeur d’aubépine qui reste en bouche, c’est comme si c’était toi que j’avalais toute crue !

Cette pensée la fit frissonner. Avaler quelqu’un de leur espèce, c’était comme fusionner avec. Mais avant que cette idée ne prenne plus d’ampleur dans son esprit, Noah la chassa bien vite. C’était un tabou ce genre d’envies. C’était mal. Mais ô combien tentant cependant. Mais juste penser ne faisait pas d’elle une coupable d’un quelconque crime, n’est-ce pas ?

— À quoi ça sert qu’ils portent mon odeur ? Personne à part nous deux ne sait qui sent l’aubépine et qui sent la rose, vu que nos parfums s’entremêlent tout le temps, lui fit remarquer Micaiah en haussant les épaules.

— Moi je le sais, et c’est mon petit plaisir, ma chère ! rit Noah tout en terminant de descendre les marches grinçantes. C’est un cadeau que tu me fais après tout.

La jeune fille arriva au niveau du sol, les mains dans le dos, toujours aussi sûre d’elle et mit son nez si proche de celui de sa jumelle qu’il n’y avait plus qu’elle dans son champ de vision, le sourire ne quittant pas ses lèvres.

Noah, l’aînée, avait la fâcheuse tendance à s’approprier les exploits de sa petite sœur et n’éprouvait aucun remords ou regret à le faire. Micaiah n’était-elle pas une extension de son existence après tout ? Il devait bien y avoir une raison pour que son aubépine soit à la fois appétissante et réconfortante. Cela ne dérangeait généralement pas cette dernière, car Noah était son monde, et elle préférait rester dans l’ombre. Ça lui allait bien que Noah soit dans la lumière des projecteurs. Mais, pour ces muffins, c’était différent. Elle avait mis du cœur à l’ouvrage, avait peaufiné sa préparation. Il y avait quelque chose d’intime dans la dégustation de ces gâteaux. Une part de son être était fiché à jamais dedans, comme un ingrédient essentiel de la recette.

— Quand même Noah. Promets-le.

— Bien, bien. Promis, jura Noah, en agitant sa main devant elle, conciliante et souriante, mais certainement pas honnête dans ses paroles.

Elle avait un plan. Après tout, c’était pour leur avenir à toutes les deux. Que l’orgueil de Micaiah soit un peu froissé suite à son mensonge n’était qu’un pâle sacrifice pour s’assurer de la sécurité de sa sœur, en dépit ses excentricités. Toujours est-il que Micaiah la croyait toujours, malgré tous ses faux semblants et ses trahisons. Elle hocha la tête, acceptant sa parole, aussi fausse soit-elle. Espérant qu’un jour, ce soit la bonne, celle qui serait tenue envers et contre tous, ignorante du fait que cela faisait longtemps que Noah s’était juré de la protéger, même contre elle-même, par tous les moyens.

Les deux jeunes filles s’accroupirent de concert devant la vitre éclairée du four, regardant les gâteaux gonfler et prendre une teinte dorée.

Micaiah émit un doux rire en donnant un coup d’épaule à sa sœur, heureuse de se retrouver ainsi avec sa moitié, la seule ou presque qui connaissait son petit secret quant à ses essais de pâtisseries.

— Tu sais que je t’en aurai donné dans tous les cas, n’est-ce pas ?

Et elle lui fit un sourire timide, ses yeux ambrés prenant un reflet doré. Personne ne passerait avant sa jumelle dans son cœur. Noah hocha la tête.

— Le savoir n’empêche pas de demander d’en avoir ! Ah ! Dans combien de temps seront-ils cuits ces muffins ? Mon ventre gargouille !

Micaiah se mit à rire aux éclats.

— Encore dix minutes, espèce de morfale ! Et cinq de plus pour ne pas te brûler le gosier ! À croire que la plus sauvage de nous deux, c’est toi !

— Heureusement, pour le bien de tous, personne n’en sait rien, répliqua Noah en levant les yeux au ciel.

Oh oui ! Pour le bien de tous, il valait bien mieux que personne ne se doute de quoi que ce soit.

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