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JBDelroen
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Chapitre 5.1

Je passais mes nerfs en faisant reluire les tables, les préparant pour une nouvelle journée laborieuse, repositionnant chaque vase fleuri au millimètre près. Je ne cessais de ruminer rageusement tous les échecs que j’avais essuyés la veille au téléphone. Pas qu’on m’ait envoyée paître, me refusant les données confidentielles du fichier client. Non. Au contraire, mes interlocuteurs avaient été adorables. Et ils étaient même désolés pour moi. Car ils n’avaient aucune information sur la venue de Sara. Aucune. Rien. Nada.

Sara n’avait été aperçue par aucun de ces établissements, me ramenant à la case départ et coincée derrière mon Comptoir. Bien que m’occuper l’esprit était une bonne idée, vu mon état, j’aurai sûrement fait une bêtise. Comme retourner au Centre d’accueil du Wuruhi, au milieu d’Ebeds qui m’auraient probablement attrapée et traînée devant leur Patriarche malgré la soi-disante protection d’Ishmail.

Je donnai un dernier coup de chiffon, redressai une dernière rose et déverrouillai la porte d’entrée de la boutique. J’étais parée à recevoir comme il se devait les clients. L’odeur gourmande des muffins saupoudrée de l’arôme du café chatouillait mes narines, la rendant encore plus alléchante si c’était possible. Les autres pâtisseries de Juan s’alignaient en bons petits soldats derrière la vitrine, invitant à céder au péché capital. En plus de ça, Gypsie viendrait m’aider dans une heure et quelques, Juan prenant la suite cet après-midi. C’était parfait. Enfin presque. Comme avoir des nouvelles de Sara. Je respirai une dernière fois un grand coup, et poussai le verrou.

Bientôt, les habitués m’accaparèrent, ne me laissant guère le temps de réfléchir, ce en quoi je leur étais reconnaissante. Leur donner café et gourmandises pour les motiver à aller au travail était en soi très gratifiant et cela m’apaisa quelque peu, malgré la frustration engendrée par mes échecs. Je m’imaginais Sara, seule dans un hôpital, liée à son lit médical par une intraveineuse, et une machine scandant les bips horripilants de la mauvaise santé. J’essayai de chasser ces images de mon esprit, les reléguant dans un endroit où elles ne pourraient pas s’échapper. Pas de nouvelle, bonne nouvelle, non ? Pourquoi n’arrivais-je pas à m’en convaincre ? Dans tous les cas, j’avais enclenché le pilote automatique ce matin, comme si j’étais sortie de mon corps.

Alors que je humais une dernière fois le bouquet du Comptoir en le repositionnant, je fus bien vite rappelée à l’intérieur quand le parfum suave des fleurs disparut subitement, mon odorat subissant une surcharge pareille à une surtension. Son fusible grilla dès que la senteur trop forte de l’eau de Cologne de Ruben envahit tout le magasin, éclipsant les fumets alléchants de nos petits beignets. Je levai les yeux au moment même où il entra. Pas besoin de clochette lorsqu'on aimait s'asperger autant.

Il portait déjà son uniforme de travail, un peu trop lâche sur sa stature de coureur olympique. Son regard était masqué à la fois par son chapeau à large bord de Ranger, et la monture de ses lunettes trop épaisse, rendant son expression difficile à cerner. Sans mon odorat et sans ses traits, je ne pouvais me raccrocher qu’à son allure pour essayer de savoir ce qu’il ressentait. Je me morigénai en triturant un pétale de rose au passage. C’était un client comme les autres, et il avait donc droit au même service. Ce n’était pas parce que c’était un employé du Parc musclé que je pouvais en conclure quoi que ce soit.

— Bienvenue au Ruby’s Trail, fis-je en sortant mon plus beau sourire de vendeuse.

— Salut, Micaiah, ça va ?

Ruben mit ses mains dans les poches, détendu. La tension de mes épaules se relâcha quelque peu, aidée par son attitude et le fait qu’il y ait un Comptoir entre nous. Une appréciable distance. Un bouclier bienvenu.

— Impeccable, que viens-tu faire ici de bon matin ?

— Ah, je viens prendre des muffins pour le bureau, comme Sara n’est pas encore revenue…

Son regard se fit lointain, et sa main fit un geste comme essayant de balayer les mauvaises nouvelles au loin. Oh. Tout me ramenait à Sara. Même quand je tentais de tout mon être de ne plus y penser. À croire que jamais je ne sortirais de cet enfer. Enfin si. La retrouver. C’était la seule solution.

— Je me suis dit que ça mettrait un peu de baume au cœur à tout le monde, elle nous manque beaucoup.

— Oui, moi aussi, soupirai-je. Vous n’avez pas eu de nouvelles hier soir ?

Il secoua la tête, puis, la redressa, comme se rappelant de quelque chose.

— Oh, c’est vrai ! Je t’ai aperçue au bureau ! Tu connais Nasrim ?

Je levai un sourcil, essayant de ne pas penser au fait que je n’avais pas senti ses relents d’eau de Cologne pestilentielle la veille. Je m’en serais souvenue si mon odorat avait encore grillé en si peu de temps. Surtout au Centre où je savais que certains de mes compatriotes Ebeds devaient travailler. Enfin, je ne l’avais pas aperçu, moi. Peut-être avait-il été trop loin, surtout que le musc et la menthe d’Ishmail m’avaient comme enveloppée. À force de faire taire mes sens, ces derniers n’étaient guère entraînés et j’avais été assez négligente. J’étais trop sur la défensive. Une proie. Je détestais me comporter comme ça. Et puis, son sourire était plutôt rassurant, n’était-ce pas du simple badinage ?

— J’y étais pour Sara surtout.

Je haussai les épaules, ne voyant pas l’intérêt à poursuivre cette discussion, jetant un coup d’œil à mes roses près de la caisse pour me calmer, m’empêchant néanmoins de parfaire leur agencement pendant que je m'occupais d'un client.

— Tu n’as pas été effrayée par son visage ? Sa cicatrice impressionne généralement lors de la première rencontre. Il paraît qu’il y a une sombre histoire de grizzli là-dessous, rajouta-t-il avec un ricanement.

— Est-ce que je te sers l’assortiment habituel ?

Je tentai désespérément de changer de sujet de conversation. À quoi bon répondre « non » ? Ishmail serait peut-être la dernière personne à me faire peur, peu importait son apparence.

— S’il te plaît. En fait, est-ce que tu peux mettre un ou deux muffins de plus à la myrtille ? J’aimerais en garder juste pour moi, ajouta-t-il avec ce sourire charmeur qui faisait ressortir la blancheur de ses dents bien dessinées.

Isée aussi avait un sourire à tomber. Cette réflexion subite me prit par surprise. Pas comme si je pensais souvent à Isée ces derniers temps. Sûrement parce qu’Ishmail était réapparu dans ma vie. Les souvenirs refluaient comme une marée montante.

— C’est toi qui paies !

Je pris ma pince en vue d’attraper les gâteaux quand la cloche de l’entrée attira notre attention. Monsieur Bill poussait lourdement la porte, le parquet gémissant sous son pas pesant. Il semblait fatigué et au bout du rouleau, mais ça ne serait pas délicat de lui faire remarquer, n’est-ce pas ?

— Bonjour Monsieur Bill ! Avez-vous bien dormi ?

— Formidable mon petit, merci. Quand tu auras terminé, pourras-tu me servir mon petit déjeuner près de la fenêtre, s’il te plaît.

Ce n’était pas une question. L’ordre caché sous le couvert de la politesse, c’était tout Monsieur Bill, ça.

— Bien sûr, Monsieur Bill.

Je poursuivis mon entreprise, déposant les muffins un à un dans le carton, tandis que le cinquantenaire alla s’installer en compagnie d’un autre habitué, venant prendre son café tous les matins. Quel était son nom déjà ? Nicholas ?

— Est-ce que je te mets les muffins supplémentaires dans une boîte à part.

— S’il te plaît, merci.

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