Encore sonnée par ma découverte, je retournai dans le bureau de Neera d’un pas rapide, ignorant cette impression inquiétante d’être observée. J’ouvris la porte un peu brusquement et constatai que la salle était toujours vide. Le cœur chamboulé, je refermai derrière moi, taisant du même coup le brouhaha ambiant du Centre du Parc. Je me retrouvai ainsi dans la petite pièce silencieuse avec moi-même. La brûlure le long de ma nuque disparut tout aussitôt. Ce fut un soulagement et j’exhalai bruyamment le souffle que j’avais retenu par la même occasion.
Je m’avachis sur le fauteuil en cuir du bureau, les bras ballants. Mes doigts en effleuraient presque le sol. Tant pis si quelqu’un cherchait le chef à cette place, je me l’octroyai. Je refusais de sortir pour courir à droite et à gauche après Ishmail. Il reviendrait bien ici à un moment ou à un autre. Je me remettais lentement de mes émotions, laissant mon regard errer sur le meuble en face de moi, et sur les bibelots qui traînaient dessus. En entendant le cliquetis de la poignée se baisser, je détournai mes yeux du scotch licorne arc-en-ciel pour me concentrer sur le nouvel arrivant.
Les deux sourcils arqués, Ishmail me toisait de toute sa silhouette imposante. Est-ce parce que j’avais vu Ruben juste un tout petit peu plus tôt que je trouvais le contraste entre leurs deux carrures d’autant plus frappant ? Je croisai les bras sur le bureau, ma tête tombant dedans, gardant mes pupilles sur lui et laissant mes cheveux se déverser sur le bois, noyant la licorne sous une masse de boucles. Refermant la porte derrière lui, le nouvel arrivant n’arquait plus qu’un seul de ses sourcils, celui traversé par sa cicatrice devant ma position peu convenable.
— Eh bien Lockwood ? Tu n’as pas l’air d’être dans ton assiette.
J’émis un grognement de contrariété, il n’y avait que lui pour déduire ça à ma manière de me tenir. Je laissai mes bras tomber de nouveau de chaque côté, ma tête toujours échouée sur la table. Heureusement que le clavier de l’ordinateur était posé un chouïa plus loin, sinon, les touches se seraient imprimées sur mon visage.
— Je crois que j’ai trouvé quelque chose, marmonnai-je. Quelque chose de grave.
L’Ebed se rapprocha de moi, et s’accroupit, faisant craquer l’articulation de ses genoux par la même occasion. Ses bras appuyés dessus, sa tête était juste un peu en dessous de la mienne, ses yeux rouges dans les miens. C’était un tableau incongru, à l’image de notre relation.
— Dans les papiers de Sara ? me demanda-t-il doucement.
Je secouai légèrement mes boucles, autant que ma position me le permettait.
— Non, dans la salle d’exposition, murmurai-je si bas que c’en était à peine audible, même pour l’ouïe sensible des Ebeds.
Et je baissai encore d’un ton, fermant les yeux, essayant de ne pas imaginer les horreurs qui avaient précédé ma découverte. L’acte qui avait mis fin à la vie de Sara.
— Cela sentait le sang. Je crois que c’est l’arme du crime.
De le dire, cela rendait la scène d'autant plus réelle, plus vraisemblable.
— Mais il faut confirmer, poursuivis-je. C’est toi qui es meilleur pote avec Duchesne et la légiste.
Il encaissa mes nouvelles avec un grand calme, m’observant en silence. La lueur de son regard était vive. Le rouge de ses yeux avait peut-être une ressemblance avec la couleur du sang, mais ce qui en émanait était totalement différent.
— Tu peux me montrer l’endroit ? me demanda-t-il doucement encourageant.
J'inspirai douloureusement, me redressant par la même occasion et hochant la tête. Puis, la secouant pour me débarrasser de mes pensées moroses et funestes, je me ressaisis, et Ishmail détendit les muscles de ses jambes, reprenant toute sa hauteur.
— Allons-y.