— Le plus gros loup que j’ai jamais vu !
Un loup plus gros que la normale… Un loup anormal, mais pas assez pour ne pas être reconnu comme un loup….
— Quelle bête impressionnante dans sa stature !
Une stature qui diverge de l’espèce…
— Organisons une chasse d’un nouveau genre !
Tu ne dois pas attirer l’attention des humains sur ce que nous sommes… Tu veilleras à te faire aussi discrète que possible… Il en va de la survie de notre espèce…. Pour le bien de tous… Pour le bien de tous... Pour le bien de tous...
Ces phrases me retournaient le cerveau et m’empêchaient de dormir. Malgré mes tentatives pour me mettre à l’aise dans mon lit, mon esprit ne me laissait pas en paix. Mes anciens cauchemars me revenaient. Une voix que je pensais avoir oubliée me harcelait. Une voix profonde provenant des abysses.
Je finis par me résoudre à me lever, histoire de ne pas replonger dans le désespoir passé, ne voulant pas voir les yeux réapparaître, dans cet appartement bien vide, me faisant regretter la musique trop forte de Sara. Tout me rappelait son absence étrange. La lune était haut dans le ciel nocturne, montrant sa face pas encore tout à fait ronde. Son éclat donnait au salon assez de luminosité pour que je n’aie pas à allumer l'interrupteur. Évitant de me mentir à moi-même en prétendant que bientôt, le sommeil reviendrait, j’entrepris de me préparer une tasse de thé. Je mis à chauffer l’eau, dosant ma boule à thé pour savourer le goût du breuvage comme je le préférais. C’est à dire bien corsé. Il était trop tôt à mon goût pour le café. Je n’avais pas besoin de son amertume. Non, juste une boisson chaude apportant une légèreté à mon estomac contracté.
Je soupirai. Ça n’était vraiment pas mon problème cette histoire de loup. Pourtant, j’entendais encore la voix de Monsieur Bill résonner dans mes oreilles. « Engager des chasseurs ». Le Parc ne ferait jamais une chose pareille, n’est-ce pas ? Je pris ma tasse dans les mains, aspirant une gorgée brûlante.
« N’as-tu donc pas compris la leçon, Micaiah ? »
Je lâchai la tasse de surprise. Elle s’éclata au sol en mille morceaux, le liquide chaud éclaboussant mes pieds nus. J’étais devant le miroir de l’entrée, contemplant ma jumelle qui fronçait ses beaux sourcils d’une moue contrariée. Sa bouche était pincée et j’avais l’impression de la voir taper du pied avec ses bras croisés.
« Tu sais bien qu’ils ne voudront pas te croire. Si ça se trouve, ils t’accuseront d’être ce loup ! De toute façon, vers qui te tourner ? Ils ne feront pas confiance à une Ebède Solitaire, parce que c’est ce que tu es ! »
Ses yeux dorés étincelaient dans la pénombre du satellite naturel de notre planète. Sa peau caramel avait pris des teintes bleutées dans l’obscurité. Mon pouls battait si fort chaque fois que je la voyais reprendre vie devant moi. Ses mots étaient autant de poignards qui s’enfonçaient dans mon cœur. Solitaire. Un terme qui me valait la peine de mort parmi mon espèce. Le tabou absolu.
« Ça ne sert à rien de ne pas le reconnaître, n’est-ce pas ? Ou espères-tu encore te mentir à toi-même ? »
Son index tapotait la glace en face de moi, comme cognant ma poitrine. Mon doigt effleura le sien. C’était gelé. Rien d’étonnant, Noah ne pouvait plus avoir de chaleur en elle.
« As-tu envie de finir comme moi, Micaiah ? Il te suffit de te faire toute petite, de ne pas attirer l’attention ! On en avait déjà discuté ! Et là, tu voudrais prévenir quelqu’un d’un Cercle inconnu dont la première action serait de te tuer ? De toute façon, qui pourrais-tu alerter ? Tu ne connais personne ! »
Sa rage ne faisait qu’enfler devant mes yeux muets.
« Parce que tu es toute Seule ! Comme dans Solitaire ! »
Le sang battait trop fort à mes tempes. Chaque parole était une entaille supplémentaire dans ma psyché fracturée. Mes émotions, ce fluide invisible qui parcourait mon être, se déversaient à mes pieds, sacrifiées au nom de la survie. Je reculai d’un pas, tentant de m’échapper de ce miroir qui emprisonnait mon esprit.
« N’essaie pas de fuir ! Tu le sais au plus profond de toi ! On ne doit faire confiance à personne ! PERSONNE ! »
— Tais-toi !!
D’une inspiration brusque, je lançai mon poing sur Noah, voulant la faire disparaître, elle et ses vérités. Elle et les cauchemars associés. Le craquement de mes os contre la surface fut sinistre. Noah se divisa en multiples jumelles. Toutes me toisaient avec un sourire mauvais affiché sur le visage.
« Tu sais que j’ai raison », susurra-t-elle.
Je reculai et pourtant, je ne pouvais détacher mon regard de ses yeux dorés dont l’éclat ne présageait rien de bon.
Sous moi, des coups sourds retentirent soudain.
— C’est pas bientôt fini ce vacarme ?! Il y a des gens qui essaient de dormir !
Notre contact se rompit, sauvée par ce voisin furieux et je me laissai glisser sur le sol, exténuée par cet échange. Une panique confuse m’envahit à mesure que ma respiration se fit frénétique. Ignorant ma main blessée, je me ruai sur mon téléphone, haletante. Il fallait… il fallait que j'appelle quelqu’un… Avant que tout ne m’échappe… Avant que mon esprit ne s’échappe pour de bon. J’étais en train de devenir folle. Ou l’étais-je déjà ? Je ne voulais pas.
À demi aveuglée par mes larmes, les doigts tremblants, je parcourai mes contacts. Je dépassai Gypsie, je dépassai Juan… Un bref sursaut de conscience me rappela qu’ils ne pouvaient pas m’aider. En revenant en arrière, le nom de Grand Méchant Loup apparut. Un sanglot me secoua, le désespoir menaçant de m’engloutir. Et mon pouce appuya sur l’icône. Peut-être comprendrait-il ?
La sonnerie retentit entre mes doigts. D’un ton monotone, sans passion. Un sursaut d’activité neuronale vint frapper mon cerveau. Il était près de trois heures du matin. Les gens normaux dormaient. Et de toute façon, que pouvait-il faire… ? M’achèverait-il ? C’était ce qu’il y avait de mieux à faire, pour le bien de tous. Et qu’allais-je dire… ? Étais-je en train de perdre la tête ? Noah se moquerait.
« Mais tu l’es déjà voyons. »
Je me figeai, glacée.
— Lockwood ?
Sa voix ensommeillée, tirée des limbes d’un repos sûrement mérité me parvint à travers la déformation de l’appareil. Je restai silencieuse, paralysée, reprenant mon souffle à mesure que cette mince interaction calmait l’Ebède en moi. Un unique nom qui arrivait à insuffler une touche de chaleur dans mon corps gourd, j’étais une cause désespérée. Je réfléchis à toute allure, bégayant quelques mots :
— Je.. J’ai.. Erreur de numéro, désolée…
Un grognement. Je devinai le froncement des sourcils rendant son visage défiguré plus sévère qu’il ne l’était.
— Tu es chez toi ?
- Um… Oui… ?
Je m’assis, les fesses sur le sol pelucheux, le dos contre l’ossature de mon lit. À quoi bon mentir ? Je n’étais pas assez en forme pour masquer la vérité.
— Pas de bêtise, Lockwood. J’arrive.
Et il raccrocha. Appel terminé.