Loading...
Link copied
Loading...
Loading...
Mark all as read
You have no notification
Original
Fanfiction
Trending tags

Log In

or
@
JBDelroen
Share the book

Chapitre 13.2

Je sentis, plus que je ne le vis, Ishmail se tendre. Il ne s’attendait pas à cette nouvelle. Personne ne s’attend jamais à cette nouvelle. Et puis, il l’avait aimée aussi. Ça ne s’était pas bien terminé entre eux, mais il devait garder une tendresse certaine pour elle. Tout le monde en avait une pour Noah. Un silence inconfortable s’installa, je n’osai le rompre, j’avais déjà bien trop à faire avec ma douleur ravivée.

L’Ebed finit par prendre une grande inspiration.

— Pourquoi ? souffla-t-il.

Je relevai les yeux vers lui. Personne ne posait cette question.

— Pourquoi ? répétai-je, hébétée.

Ishmail secoua la tête, encore encaissant la nouvelle, incrédule.

— Pourquoi personne n’est-il au courant ? Quand est-ce que ça s’est produit ?

Ramenant mes genoux contre moi, je détournai le regard, honteuse de ce que j’allais dire. La voix d’Abraham ne cessait de résonner dans mon esprit. « Pour le bien de tous », disait-il. Encore et encore. Personne ne devait savoir. Pour le bien de tous. Faire comme si Noah était encore là. Jouer Noah. Faire vivre Noah. Je sentais ses prunelles jaunes qui attiraient malgré moi mon attention. Mon corps se mit à trembler. Je ramenai mes genoux un peu plus près de moi, mon balancement se fit d'autant plus fort pour maîtriser mes frissons.

— Pour le bien de tous, murmurai-je, répondant à sa première question. Ça fait neuf ans.

Ma voix était parcourue de hoquets et je n’arrivai plus à la maintenir à flot.

— « Pour le bien de tous » ? répéta Ishmail, secoué par l’énormité qu’il venait d’entendre.

Je redressai mes yeux perdus dans ses iris francs, avides de vérité. Sa main se déplaça et se posa sur une des miennes tandis que sa gorge vibrait pour m’accompagner dans ces tristes révélations, ne me laissant pas seule. J’étais de plus en plus nauséeuse à mesure que les mots sortaient de ma bouche, me rendant malade et fébrile. Le regard dur et ambré m’incendiait dans ma psyché, le rictus devenant carnassier, tout prêt à me manger. Au fur et à mesure, je me sentais d’autant plus minable. Les doigts d’Ishmail se resserrèrent sur ma chair, me rappelant que je n’étais plus livrée à moi-même. Peut-être qu’il pouvait m’aider à lui faire face.

— Abraham a dit…, bredouillai-je, les sanglots perçants à mesure que je luttai pour éructer ce qu’il s’était passé, Abraham a dit que…. Abraham a dit que personne ne devait savoir. Pour le bien de tous. Que je devais me taire. Pour le bien de tous. Que je devais devenir Noah. Pour le bien de tous. Il a… Il a utilisé l’Autorité pour ça. Pour le bien de tous.

Les larmes dévalaient mes joues et ma voix n’était plus qu’un hoquet continuel. Je ne sais ce que comprit Ishmail dans tout mon charabia. Il s’était raidi et ses narines frémirent. Mais l’abcès était crevé et ma douleur se déversait hors de moi. Une douleur contenue depuis neuf ans.

« Pour le bien de tous, vraiment ? » marmonna la conscience à l’intérieur de ma tête. « Pour son bien à lui plutôt ! »

J’étais trop bouleversée pour tenter de la faire taire. Surtout que j’étais d’accord avec elle. Mais chaque fois que je m’autorisai cette pensée, l’immense silhouette du Patriarche venait hanter mon esprit et son ordre s’imposait, brisant mon avis, me ramenant dans cet enfer que j’avais vécu il y a neuf ans.

Deux bras forts m’entourèrent et m’accompagnèrent contre un torse musculeux. Ishmail me resserra contre lui, posant sa tête sur la mienne qui s’enfouissait dans son t-shirt, me noyant dans un océan de menthe sauvage. Les ondes des vibrations m’abrutirent de confort et je recommençai à respirer. Le torrent de larmes devint peu à peu un lac paisible. Elles roulaient, mais transformaient la boule d’émotions chaotiques en un chagrin assumé. Mes mains se coulèrent autour de mon comparse, ma joue contre la sienne et ma gorge vrombissant à l’unisson. Nous pouvions pleurer Noah librement, nous réconfortant l’un et l’autre. Personne ne viendrait me réprimander et m’obliger à tout intérioriser. À passer sous silence le décès de ma sœur adorée.

Lentement, je repris ma respiration et les larmes se tarirent. Ma peine était toujours là, toujours présente, mais elle n’était plus niée. Elle pouvait s’exprimer au grand jour. Je m'abandonnai encore un peu dans les bras d’Ishmail, me laissant bercer par ce doux réconfort que mes parents ne purent m’offrir. Je ne savais pas combien de temps nous restions ainsi, l’un contre l’autre, mais je me résolus à quitter ce cocon confortable, passant une main dans mes cheveux constamment désordonnés, regardant de côté, un brin embarrassée.

De son côté, Ishmail continua à m'observer, un bras appuyé derrière lui. Je lui jetai un coup d’œil timide. Dans ses prunelles, il y avait de la tristesse, de l’incompréhension et de la compassion. Ses sourcils n’étaient pas aussi froncés que d’habitude, lui faisant perdre à son visage son aspect sinistre. Sa cicatrice n’en était que plus humaine, presque invisible au regard de ceux qui le connaissaient. Il n’était pas tant défiguré que cela, car son âme se reflétait dans chaque fibre de son corps. Noah l’aurait-elle tout autant aimé avec ce nouvel aspect physique ?

« Ishmail n’a jamais été mon genre », ricana ma jumelle. « C’était pour rendre Aaron jaloux. »

Je pinçai les lèvres, contrariée par cette vérité trop cruelle à mes oreilles.

— Je crois que je saisis l’ensemble de la situation, murmura d’une voix rauque l’Ebed. Mais cela n’explique pas l’odeur des roses.

Je baissai les paupières. J’allais devoir lui expliciter à quel point j’étais irrécupérable. À quel point j’étais déjà folle.

— Parfois… Parfois… Noah me parle, balbutiai-je. Dans ma tête, je veux dire.

J’observai le feu craquer dans la cheminée, n’osant soutenir son jugement qui allait se voir dans son regard. Ne souhaitant pas lire la future peine de mort dans ces yeux qui reflétaient généralement la bonté. Ce verdict sans appel qui me terrifiait.

— Je… je ne sens pas moi-même l’odeur quand cela se passe, murmurai-je, comme si cette précision pouvait me sauver.

L’Ebed ne répondit pas et resta silencieux. De nouveau, je jetai un regard vers lui, mes doigts nerveux se resserrant dans mes poings, mes ongles s’enfonçant dans mes paumes jusqu’à y faire perler le sang.

Ses sourcils épais avaient repris leur froncement caractéristique, se rejoignant presque au niveau de l’arête de son nez. Je ne lisais pas de condamnation dans ses yeux, ni de douloureuse résolution de se faire bourreau. Il réfléchissait.

N’y tenant plus, je me relevai et commençai à tourner en rond en me perdant dans mes explications :

— Ça ne s'est pas déclenché il y a si longtemps, essayai-je de me dédouaner. Je… Quand… enfin, avant, je l’apercevais dans les miroirs, mais je ne lui avais jamais parlé ! Je l’évitais, car je savais ce que ça voulait dire, mais quand Sara a disparu, je.. J’ai cédé… J’étais, j’étais toute seule, et Noah m’attendait, alors…

Je devais me taire ! Vraiment ! J’alimentais le moulin en eau !

Ishmail posa ses coudes sur ses genoux, me regardant, toujours assis.

— Tu veux dire que tu la voyais avant ? Depuis quand ?

Je passai une main nerveuse dans mes cheveux, ne sachant plus si c’était une bonne chose à dire ou non. Autant cracher tout le morceau. Je soupirai, lasse.

— Depuis… depuis que je suis partie des iles Selenes. Presque depuis le tout début, chuchotai-je, incertaine. Mais j’ai tout fait pour l’éviter ! Ça compte, n’est-ce pas ?

D’une enjambée souple, mon compatriote me rejoignit et me resserra contre lui à nouveau.

— Tout compte, Lockwood, murmura-t-il. Ça s’arrangera. On fera tout pour. Je serai là. Jusqu’au bout.

Il accompagna sa déclaration d’un baiser sur le front et de profondes vibrations et je me mis à trembler entre ses bras puissants.

— Noah est… Noah est morte… Et maintenant, Sara l’est aussi, baragouinai-je. Je ne veux pas mourir non plus, laissai-je échapper dans un souffle.

— Et je ne veux pas que tu meures, me répondit-il.

Il caressa ma joue, tournant mes yeux dans les siens, ses doigts glissant sous mon menton, le soulevant vers lui, il y avait une telle différence entre nos deux tailles. J’étais comme une grenouille hypnotisée par le serpent. Mon cœur battait à tout rompre. Il cognait bien trop fort dans ma poitrine. Avais-je réellement gagné un allié envers et contre tout ? En racontant seulement la vérité ? Je n’osai y croire.

Les pupilles d’Ishmail se raffermirent tandis qu’il m’observait. Puis, délicatement, sa deuxième main se mut contre mon autre joue et il amena ses lèvres à mon front, lentement cette fois-ci, ses doigts glissant dans mes cheveux. J’en eus un doux frisson. Je fermai les paupières en soupirant d’aise, sentant le velouté de sa bouche posée sur ma peau. Je n’étais pas seule. Ses bras passèrent ensuite complètement autour de moi et il me resserra contre lui. Ma tête s’enfouit contre son torse, et timidement, je l’étreignis en retour. Je n’étais plus seule. Quelque chose vibra dans mon cortex, totalement détendu malgré la situation critique.

— Merci, soufflai-je tout bas, comme si ce mot précieux pouvait se briser en tombant dans la mauvaise oreille.

— Je t’en prie, Lockwood. On y arrivera, murmura-t-il à son tour, une douce promesse résonnant dans mon cœur.

Comment this paragraph

Comment

No comment yet