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JBDelroen
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Chapitre 9.1

La façade du Ruby’s Trail était égale à elle-même. Les lettres blanches se détachaient bien sur le panneau en bois peint tout de rose. Les couleurs vives ne faisaient pas peur à Juan. Il disait souvent que cela permettait d’apporter de la joie à qui regardait, même si le temps était grisâtre. Je pouvais comprendre cette façon de penser. Quand tout était noir, à nous d’amener la lumière et les arcs-en-ciel que nous méritions s’ils ne venaient pas jusque-là. C’était une belle revanche sur son passé.

Contrairement à d’habitude, je passais par la porte de devant, et la clochette fit entendre son carillon mélodieux. L’air tiède et doucereux m’accueillit, accompagné du parfum discret et subtil des roses posées un peu partout dans la pièce, donnant cette atmosphère cocooning à la boutique. Évidemment, Juan et Gypsie étaient tous les deux derrière le Comptoir, mais plus surprenant, Ishmail y était accoudé aussi, un café à la main. Je ne pus que hausser mes deux sourcils jusqu’au plafond. Il ne portait pas non plus son uniforme de travail et je ne pus que constater que ses larges épaules avaient déjà conquis Gypsie, la bave n’étant plus très loin de déborder de ses lèvres. Il discutait avec mes deux collègues. Je fis la moue. Je voulais lui soutirer des informations, se pouvait-il qu’il en faisait autant de son côté ? J’avais un mauvais pressentiment.

Le poêle ronronnait et répandait sa douce chaleur dans la pièce. Monsieur Bill en était encore à manger un petit déjeuner tardif et quelques autres clients bavardaient autour d’un bon café, brouillant le peu que j’aurai pu entendre. Au moins, je ne pouvais que m’estimer heureuse que l’affreuse eau de Cologne de Ruben ne fût pas dans le coin. Mon plan de demander discrètement conseil à Juan se volatilisait. Comment le prendre à part loin des supères-oreilles d’Ishmail ? Et pendant que j’étais en train de chercher une solution, tous les regards s’étaient tournés vers l’employée qui restait plantée devant la porte d’entrée.

Je me raclai la gorge pour retrouver une contenance et je m’avançai d’un pas décidé vers le Comptoir, marchant fermement devant mon compatriote Ebed, le menton haut que j’inclinai de manière imperceptible en un vague bonjour, tandis qu’il demeurait détendu tout en m'observant faire. J’essayai de passer outre l’agacement qui menaçait de poindre le bout de son nez alors que je devinai le sourire narquois qui naissait au coin de ses lèvres. L’ignorer était ce que je pouvais lui répondre de mieux et je me fis une mission de regarder Juan et Gypsie dans les yeux, en les saluant, sans tourner la tête de côté, mes doigts allant effleurer malgré moi les pétales des fleurs du Comptoir. Mes collègues d’abord, mes désagréments aussi. Après, je pourrais peut-être m’occuper d’Ishmail. Je tentais désespérément de garder les aspects multiples de ma vie séparée : mes amis humains d’un côté, mes ennuis Ebeds de l’autre. Et surtout, Juan et Gypsie n’avaient rien à voir avec tout ça.

— Ah, ma belle Michokoh, comment vas-tu ? s’enquit mon patron, compatissant. Tu n’es quand même pas venue remplir les stocks de muffins à la myrtille ? Quoique, entre toi et moi, tu aurais déjà des clients, ajouta-t-il avec un clin d’œil.

Le sourire de Juan, qui faisait toujours briller ses yeux, n’était jamais feint. Il était systématiquement là pour les autres, bien que tant de personnes lui aient voulu du mal. C’était sa façon de se venger : aider et donner, répandre de l’amour, car ce monde n’en avait pas assez. C’était une belle revanche, je ne pouvais en douter, tous ceux qui le considéraient comme un ami pouvaient à la fois compter sur lui et venir à son secours s’il en avait besoin. Et je serai la première à tuer si on lui faisait du mal, ou s’il me le demandait (mais bien sûr, je savais qu’il ne le ferait jamais). Ses boucles brunes, presque de la même teinte que les miennes passèrent devant ses yeux, et d’un geste machinal, il les remit en arrière alors qu’il prenait un grand mug dans le placard.

Je soupirai.

— D’autres péripéties, Juan, fis-je, dépitée. Ce qui est arrivé à Sara est horrible, et ma concierge vient de m’annoncer que son frère est en route et va prendre possession de son appartement. Je dois déménager.

Gypsie poussa un petit cri à la nouvelle, détournant son regard des épaules d’Ishmail dont l’attention, toute portée vers moi, me picotait la nuque. Se retrouver à la rue, elle savait ce que c’était et avait toutes les peines du monde à s’en remettre. Mon patron, quant à lui, leva les yeux vers moi, et m’observa, tandis qu’il commençait à préparer un chocolat chaud onctueux dont l’odeur faisait gronder mon estomac.

— Je suis désolé de cette nouvelle, Micaiah. Que puis-je faire pour toi ?

Il posa la boisson devant moi, et je plongeai mon nez dedans. Je humai le fumet gourmand qui s’en dégageait, cela apaisa quelque peu mon cœur angoissé. Machinalement, je pris une des touillettes et la trempa dans la crème fouettée qui nageait sur le liquide réconfortant, la portant à ma bouche.

— Je me demandais… Est-ce que par hasard, je pourrai louer une des chambres ici ? Sans vouloir te vexer, je ne veux pas squatter ton canapé, Juan. Je pourrai devenir la voisine de Gypsie comme ça.

J’avais appuyé ma déclaration, raffermi ma voix pour être sûre de moi. C’était ma meilleure option. Gypsie poussa un hoquet et lança un regard plein de regrets à Juan. Aïe ! C’était mal parti pour moi !

— On vient de louer la dernière chambre ce matin, répondit-elle d’un gémissement de chiot, en se cachant derrière son plateau rond.

Elle paraissait complètement terrifiée, comme si elle avait fait une énorme bourde d’avoir accepté un client. Son passé revenait au galop, tout comme la peur de payer de coups la moindre erreur. Je posai doucement ma main sur la sienne.

— C’était encore un photographe, ils sont tous à vouloir traquer cette bête imaginaire, couina-t-elle pour se justifier.

Ah oui. L’engouement n’était pas retombé alors. C’était une bonne nouvelle pour Reefton et pour le Ruby’s Trail même si ça me compliquait la tâche. Les autres établissements de la ville seraient probablement complets, et pour un tarif plus élevé. Je me mordillai le bout du pouce, pensive. Puis, me rappelant qu’il y avait des choses prioritaires, mon attention revint à ma jeune collègue tétanisée :

— Tu as bien fait, Gypsie, la rassurai-je en tapotant la main. Ça veut dire que les affaires sont bonnes pour le Ruby’s Trail, et si les affaires sont bonnes, ça veut également dire que notre salaire aussi le sera !

— Dans tous les cas, Micaiah, je sais que ce n’est pas idéal, mais le canapé est quand même disponible pour toi, ce peut être une solution provisoire, me proposa Juan.

Une voix grave s’éleva non loin de là :

— Tu n’as qu’à venir chez moi, Lockwood.

La suggestion me fit sursauter et je me tournai vers lui, l’incompréhension bien présente dans mon regard. L’Ebed haussa les épaules.

— J’ai une chambre d’ami à l’étage, ajouta-t-il négligemment. Et c’est nettement plus grand qu’en ville, du moins, plus grand qu’un canapé.

Je fronçai des sourcils, me demandant quel piège cela pouvait-il cacher, mais Juan, à l’âme définitivement fleur bleue et qui devait se faire des comédies romantiques tout seul dans sa tête, intervint avant moi :

— Quelle excellente idée ! Cela te permettra de rattraper le temps perdu ma belle, non ?

— Mais….

Je réfléchis à toute vitesse. Non, Ishmail n’habitait clairement pas en ville.

— Je n’ai pas de véhicule de transport pour faire les allers et retours au travail.

Voilà, une bonne façon d’enterrer la proposition avant que cette dernière ne soit réalisable. C’était sans compter sur mon boss qui était tout frétillant à la perspective de me voir loger avec mon compatriote. C’était pire que fleur bleue, il était marieur à ce stade !

— Pas de souci, Michokoh. Je te prête notre Précieuse. Tu t’occuperas de faire les courses et des livraisons comme ça, ajouta-t-il d’un sourire malicieux.

— Ça te va, Lockwood ? me demanda tout de même Ishmail, désireux de ne pas me forcer autant la main que mon patron.

Lui aussi avait haussé les sourcils devant l’engouement de Juan. Je levai les yeux au ciel. Je n’avais rien à craindre de mon protecteur normalement non ?

— Oui, oui, ça va, balayai-je son inquiétude d'un geste.

J’avais envie de grommeler un « pour le bien de tous » dans ma tête, je me gardai de le dire à voix haute, mon ton aurait peut-être été trop sarcastique.

— Allez vous asseoir tous les deux, me taquina Juan en nous poussant tous les deux vers les tables, vous allez pouvoir régler les détails de cette affaire en savourant votre boisson, je t’apporte les clés et des gâteaux.

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