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1 - Interlude
2 - Chapitre 1.1
3 - Chapitre 1.2
4 - Chapitre 1.3
5 - Chapitre 2.1
6 - Chapitre 2.2
7 - Chapitre 2.3
8 - Interlude
9 - Chapitre 3.1
10 - Chapitre 3.2
11 - Chapitre 3.3
12 - Chapitre 3.4
13 - Chapitre 3.5
14 - Interlude
15 - Chapitre 4.1
16 - Chapitre 4.2
17 - Chapitre 4.3
18 - Chapitre 4.4
19 - Chapitre 5.1
20 - Chapitre 5.2
21 - Chapitre 5.3
22 - Interlude
23 - Chapitre 6.1
24 - Chapitre 6.2
25 - Chapitre 7.1
26 - Chapitre 7.2
27 - Chapitre 7.3
28 - Chapitre 7.4
29 - Chapitre 7.5
30 - Interlude
31 - Chapitre 8.1
32 - Chapitre 8.2
33 - Chapitre 8.3
34 - Chapitre 8.4
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Chapitre 3.1

— Pfiou !

Je sortais de la douche, épongeant encore mes boucles humides. L’eau chaude m’avait complètement ramollie et j’étais à présent détendue après une rude journée de travail. Le Ruby’s Trail avait été particulièrement fréquenté samedi et dimanche, et également ce lundi. Monsieur Bill avait eu besoin qu’on s’occupe de son linge et Ruben était revenu pour quelques muffins à la myrtille. J’avais pris sur moi, me rappelant de tous mes exercices de méditation pour ne pas être aussi sur la défensive et j’avais pu le traiter exactement comme tous les autres clients. Dans quelques jours, j’arriverai à le considérer comme un habitué. Je pouvais être fière de moi. Il n’était pas question que je finisse comme un petit lapin effrayé par le moindre geste d’autrui !

J’étais à présent de congé, et j’espérai pouvoir en profiter sans être à cran. Il suffisait juste que Sara revienne du boulot pour pouvoir me détendre totalement.

J’avais été surprise ce matin de constater qu’elle n’était pas encore de retour, mais ça lui arrivait d’aller directement au travail après une retraite méditative, quand elle avait pris la route du retour trop tard, ce qui était fréquent vu sa ponctualité. Sachant qu’elle se rendait toujours dans des endroits où le réseau ne passait pas, ce n’était pas la peine de lui téléphoner. Mais bon, il allait être dix-huit heures, et, en comptant le trajet, elle ne devrait pas trop tarder à rentrer à la maison.

Son gentil babillage, les odeurs excessives de ses produits de beauté et son sourire faisaient partie de mon quotidien depuis quatre mois, et je les avais peu à peu intégrés à ma routine de bien-être. Elle était mon mini Cercle personnel, même si elle n’avait rien d’une Ebède. C’était ma façon d’apaiser la bête et d’éviter de péter un plomb comme une infâme Solitaire.

Les Ebeds sains d’esprit vivaient en ce que nous appelions Cercle. Nous étions une espèce qui avait besoin de ses congénères pour se sentir bien dans la tête et dans les pattes. Ceux qui ne profitaient pas du contact des leurs perdaient peu à peu la raison et finissaient par devenir ce qu’on nommait des « Solitaires » à ce qu’il paraissait. On ne savait pas grand-chose sur eux, ils étaient de l’ordre du mythe. Des monstres dont l’appellation terrifiait les adultes. Les Patriarches avaient la mission de les éliminer d’après ce qu’on disait. Voilà pourquoi, moi qui existais depuis neuf ans sans Cercle évitais de croiser d’autres Ebeds. Pourquoi je ne m’étais jamais rendue au Parc du Wuruhi et le fuyais comme la peste. Pourquoi j’habitais en centre-ville même.

Les Ebeds sont les Gardiens de la Nature, généralement ils travaillaient à ses côtés. Le Parc devait en être truffé. Pour Noah, je devais vivre. Peu importe si c’était au prix de taire ce que j’étais.

Après avoir enfilé un débardeur et un jean, j’entrepris de démêler ma crinière, laissée en friche depuis mon dernier shampoing. Par réflexe, je m’étais tournée vers le miroir de la salle de bain. Heureusement, celui-ci était recouvert de buée, merci à ma tête de linotte d’avoir oublié d’ouvrir la petite fenêtre pour évacuer la vapeur d’eau. Ainsi, je pouvais éviter de croiser le regard de ma jumelle.

Je n’avais pas encore perdu la tête, enfin, du moins, je ne le croyais pas. Les Solitaires représentaient un danger pour les autres Ebeds. On ne savait pas trop dans quelle mesure, car parler d’eux était tabou. Moi-même, je n’avais entendu ce terme qu’une ou deux fois au détour d’une conversation entre adultes que je n’étais pas censée écouter ou parce que Noah avait décidé de s’instruire sur le sujet par pur caprice, ou bien elle s’inquiétait déjà de mon devenir.

La brosse chassait peu à peu l’eau de mes cheveux. Les ondulations prenaient lentement vie, et je les laissais lâches, pendant au bas de mes reins. De toute façon, ils n’en faisaient qu’à leur tête. J’avais abandonné depuis longtemps l’idée de les discipliner, contrairement à Noah qui n’avait de cesse de les torturer en de savantes coiffures. Nous avions toujours vécu en parfaits antonymes : elle était l’apprêtée, j’étais la négligée ; elle était l’enthousiaste, j’étais la ronchonne ; elle était la parfaite, j’étais la ratée ; elle était populaire, j’étais dans l’ombre. À deux, cette symbiose nous permettait de mieux contrôler les eaux troubles du Cercle dans lequel nous nagions, j’imagine.

Je quittai la salle de bain pour le salon, après avoir finalement ouvert cette lucarne, fermant la porte derrière moi afin d’éviter qu’elle ne claque et que l’air ne refroidisse tout l’appartement. Je jetai un coup d’œil nerveux à la pendule. Peut-être devrais-je m’occuper les mains pour attendre Sara. Elle serait probablement ravie d’avoir quelque chose à se mettre sous la dent après ce long week-end et cette reprise rapide. Je n’avais pas de fruits des bois, mais je pouvais toujours faire des pancakes.

Ainsi, quand elle rentrera, on pourrait s’écraser dans le canapé devant un film débile tout en essayant d’éviter de faire tomber du sirop d’érable. Oui. Je devrais faire ça. Sara serait contente et c’est ce que Noah aurait voulu faire aussi.

J’ouvris le frigo pour en sortir les ingrédients nécessaires : des œufs, du lait, du beurre… Je passai en mode automatique. Plus besoin de réfléchir quand on cuisine. Toute mon attention était requise pour ne pas faire de bêtise, et j’accueillis cette distraction avec soulagement. Lorsque Sara serait de retour, nous ririons bien de ma sottise de m’être inquiétée pour rien. Oui, une bonne soirée détente entre filles en perspective.

On toqua à la porte.

Les trois coups firent l’effet d’électrochocs dans mon cerveau, résonnants à l’intérieur, trop forts. Je relevai la tête et regardai avec angoisse vers l’entrée, m’essuyant les mains. J’avais des fourmis dans les pieds qui remontaient le long de ma colonne vertébrale. Fichue anxiété. Mon côté rationnel me dit que cela pouvait être Sara, qui aurait perdu ses clés. J’étais immobile quand ils reprirent. Il y avait bien quelqu’un. J’approchai doucement de la porte et je me figeai devant. Les effluves venaient à mes narines, sans gêne, pénétrant mon cerveau, faisant vibrer ma gorge avec avidité, la perspective de retrouver un des miens sans aucun doute. Fichu instinct. Mon bon sens reprit le pas et laissa la peur m’envahir. La fragrance de sous-bois était la preuve indéniable qu’un Ebed se trouvait derrière. Le musc qui la teintait fortement m’informait qu’il était de sexe masculin. Quant à la pointe de menthe sauvage, elle me fit l’effet d’une bombe à l’intérieur. Je connaissais cette personne. La panique et la terreur prirent le pas, les racines de mes cheveux se dressant sur ma tête, la chair de poule me paralysant le corps tandis que ma gorge émit un gémissement expectatif. Mon instinct Ebed assoiffé du contact de mes semblables n’avait pas attendu pour me trahir.

Me faisant violence, je déglutis, mais c’était bien trop tard. Forcément, il avait forcément entendu cette plainte, et plus encore. Mon odeur. Même sans la senteur des roses, il saurait qui j’étais.

Une voix rauque, bien plus grave que dans mes souvenirs, mais toujours colorée de cette petite intonation traînante, s’éleva, répandant des vibrations à la fois de surprise et de réconfort, répondant naturellement à ma détresse.

— Lockwood ?

Mon être s’abreuva du doux vrombissement que ses cordes vocales émettaient. Impossible de faire taire les miennes qui se mirent à résonner, essayant de s’ajuster à son rythme. Des années à tenter d'étouffer mes instincts, et me voilà, replongeant dans la langueur calme des pulsations du Cercle, m’accordant à la partition que j’avais déchirée lorsque j’étais partie.

La petite voix dans ma tête me susurrait que je pouvais m’en sortir, qu’il n’était pas un ennemi. Comment pouvais-je la croire alors qu’elle n’attendait que sa dose de contacts ? Tel un venin, elle se répandait dans tout mon être. Il n’était pas là pour me traquer sur les ordres du Patriarche. Il n’était pas là quand tout était arrivé. Après tout, au vu de son ton était surpris, ce pouvait n’être qu’un heureux hasard. Je pouvais profiter à la fois de son contact, en jouant à l’Ebed qui allait bien.

Il n’avait pas insisté de nouveau, sachant très bien que j’étais derrière la porte. C’était un prédateur, il écoutait sa proie, patient. J’essayai d’affermir ma voix, qui discordait trop à mon goût :

— … Ishmail… ?

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