Language : English
Le trajet du retour se fit dans le silence. Ishmail eut l’amabilité de me ramener en bas de chez moi. Après juste un dernier « pas de bêtise », il me laissa seule avec mes pensées. Je le regardai partir sur le pas de la porte et disparaître au volant de son pick-up, les phares rouges ne devenant que deux points lumineux dans la nuit avec un pincement au cœur. Je sentais au fond de moi ma part Ebède couiner, réclamant la présence d’un congénère. Peut-être se faisait-elle plus pressante maintenant qu’elle savait qu’il n’y avait plus personne pour l’attendre à la maison, qu’une solitude intense. J’essayai de la faire taire un maximum, car la pointe de paranoïa avait décidé de me hérisser la nuque ce soir. Rentrons avant de devenir complètement folle.
Je remontai les escaliers en silence, réfléchissant à ma situation pour éviter de m’appesantir sur mon chagrin. Sara n’était plus et ne reviendrait pas. Définitivement. Et je me retrouvais seule. Avec un soupir, je fermai la porte à clé à double tour derrière moi. Je m’affalai douloureusement dans le canapé, allumant la télévision afin d’avoir un fond sonore pour faire comme si je n’étais pas l'unique personne à habiter cet appartement à présent. Je regardai dans le vide les images des publicités défiler, illuminant le salon.
J’étais grillée. La Matriarche du « Collectif » connaissait mon existence. Mais, à priori, comme Ishmail avait plaidé en ma faveur d’une manière ou d’une autre, elle n’allait pas me tuer tout de suite. La question était de savoir quand. Quand j’aurai prouvé que j’étais complètement folle ? Quand j’allais refuser de me soumettre à son autorité ? Pouvais-je encore faire semblant d’appartenir à une Communauté, quelle qu’elle soit ? Devais-je faire mes bagages pour survivre ou ce Collectif se ferait-il une joie de partir en chasse pour attraper une pauvre fille comme moi ?
Peut-être devrais-je me renseigner sur ce qu’était un Collectif avant de prendre une décision. Et je n’avais pas envie de quitter mon job et Juan. Je n’avais pas envie de tout recommencer à zéro à nouveau. J’avais bâti des choses à Reefton. J’y étais bien. Étais-je condamnée à perdre tout ce que j’aimais encore et encore ?
Je m’enfonçai plus profondément dans les coussins. Le seul qui pouvait éclairer ma lanterne sans me manger était Ishmail. Mes autres options étant l’adjointe au shérif, Elijah Duchesne, et la Matriarche. Et je n’avais pas envie de savoir si elle allait remettre en question mon sursis. Dans tous les cas, je ne pouvais rien faire cette nuit. Dépitée, je m’allongeai, le visage tourné vers l’écran. Sans bouger, sans briser le silence d’un soupir, encore sous le choc peut-être, je m'abandonnai aux images et aux sons, abrutissant mon cerveau, avant de basculer dans une douce inconscience.
