PDV William
Je referme les portes à vingt heures, à la sortie de la dernière personne, puis marche dans l'allée d'un pas clopinant. La douleur dans ma cheville foulée se fait sentir et depuis que la nuit est tombée, le serpent me brûle le mollet.
Je suis exténué. Je devrais appliquer le gel qu'il me reste sur la jambe pour arriver à dormir cette nuit. Après tout, seul, je ne crains rien. J'éteins le chauffage sous les bancs ainsi que les lumières et me dirige vers le presbytère.
Le froid me saisit dès que j'entre dans le petit couloir. Fichu chauffage... Mon estomac gronde. Ce soir, un verre de lait fera l'affaire. Je n'ai pas la force d'aller me faire des courses et je n'ai aucune envie de voir un inconnu débarquer ici à cette heure, pas avec un démon qui rôde autour de moi, la nuit. Mon ventre restera vide.
Perdu dans mes pensées, je pars machinalement faire chauffer de l'eau à la cuisine et m'arrête devant la théière. Quelle est cette odeur ? En me retournant, j'aperçois une dizaine de boîtes transparentes et de nombreux objets emballés, posés en montagne sur la petite table. Je déplace l'ensemble et réalise que toutes les boîtes sont des plats préparés, pour la plupart encore tièdes. J'examine la nourriture. Tout correspond à mes commandes habituelles et à mes plats préférés.
― Père Thomas, seriez-vous passé sans me prévenir ?
Un post-it rose attire mon attention.
« Mon père, j'espère que vous mangerez ce soir et demain. J'ai compté toutes les commandes et je compte venir vérifier que vous mangez. Si je constate que vous n'avez pas mangé, je devrai traîner dans vos pattes pour vous surveiller encore plus. »
J'ouvre de grands yeux.
― Matthew ?
« Utilisez le congélo pour ranger le reste, le frigo est un peu plein. »
J'ouvre le réfrigérateur et reste bouche bée devant la quantité astronomique de nourriture qui le remplit. Cet homme est fou... ! Mes yeux se baissent sur la fin de sa note.
« Ah, si vous gâchez de la nourriture, je serai obligé de venir la manger avec vous, un soir. A dîner par exemple, rien que vous et moi. Ce serait vraiment fâcheux :'( »
Je lâche un petit rire. Quel culot...
« Et par pitié, répondez à vos textos ou je vais finir par débarquer dès que j'aurai quelque chose à vous dire. Ça aussi, ce serait fâcheux. Bon appétit, mon père.
PS : En attendant que le radiateur de votre chambre soit réparé, je vous ai apporté des couvertures chauffantes (même si je serais une bien meilleure couverture pour vous). Bonne nuit <3 »
Je secoue la tête, toujours halluciné. Cet homme est aussi audacieux et collant que je suis entêté. Du genre extrême, aussi. Mais tant que ses actes sont bienveillants, pourquoi rejeter son aide ?
Les odeurs alléchantes qui embaument la cuisine me donnent l'eau à la bouche et mon ventre recommence à gargouiller. Je m'assois à table et ouvre une boîte au hasard. Des brioches en forme de cœurs. Je lève les yeux au ciel et secoue la tête, amusé. Quel idiot...
Un frisson glacé me traverse. Je regarde sur la chaise à ma gauche : un grand plaid est branché à une prise, prêt à recouvrir mes jambes sous son agréable chaleur. Un sourire chagrin fleurit sur mes lèvres. Mon menton retombe et ma poitrine s'alourdit. Que je le veuille ou non, Matthew est actuellement le soutien qu'il me fallait. Peut-être serait-il raisonnable de le laisser m'épauler...