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June_Stephen
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Chapitre 45

Mes paupières battent lentement. Son odeur... son odeur m'enveloppe et me rassure. Je suis si bien contre lui... A contrecœur, je m'extirpe des bras de Matthew en prenant soin de ne pas le réveiller et me lève pour filer à la salle de bain de la chambre. Le miroir me renvoie l'image d'un homme fatigué, sur le point de se briser lui-même. Je reste immobile de longs instants, un poids énorme sur les épaules. Matthew a fait renaître tout un monde en moi, ses fragilités avec lui. Ces fissures disparaîtront bientôt.

Après ma douche, j'enfile la soutane blanche qu'il avait laissé dans le placard de la chambre, puis m'agenouille devant lui, à son chevet. Je caresse ses cheveux dans un murmure, le cœur lourd :

― Mon chevalier...

Ma gorge se noue. Je dépose un doux baiser sur son front, son nez et sa bouche.

― J'espère que tu me pardonneras un jour.

Je me relève et me dirige vers la porte, éprouvé par des maux qui ne franchiront jamais la barrière de mes lèvres.

« Je ferai disparaître tes péchés comme derrière un nuage. »

Arrivé sur la terrasse, l'air glacé me gèle les joues. Keira et Adam discutent dans un calme étrange à la lueur de l'aube. Dès qu'elle m'entend, elle range sa cigarette électronique et s'écarte de mon ami, en train de fumer une Marlboro. Adam fait quelques pas pour s'éloigner et ne pas m'imposer sa fumée.

― J'ai cru entendre que ça s'est réconcilié, mon père, siffle-t-elle sur un ton tendancieux, en référence implicite à mes ébats avec son frère.

Je range les mains au creux de ma soutane et baisse les yeux. Mon silence gêné la convainc de ne pas me charrier davantage. L'heure n'est plus à la plaisanterie. Elle rejette ses tresses agrémentées de bijoux en arrière et passe près de moi pour rentrer.

― Ne lui broie pas le cœur, dit-elle en arrivant à ma hauteur, non sans amertume.

― Ce n'est pas mon but.

Malgré le doute qui subsiste en elle, elle hoche la tête et retourne dans la maison.

― Je vais passer mes coups de fil.

Je la suis d'un regard furtif dans la semi-pénombre du salon jusqu'à la perdre de vue.

― Quelle harpie, grommèle Adam.

― Une harpie pas si rebutante que ça, n'est-ce pas ?

― Hein ? Te fous pas d'moi, cette meuf est cinglée ! Je la toucherais même pas avec un balais à chiottes.

Je glousse, amusé. Sa réaction en dit long. Il retire son manteau et le dépose sur mes épaules. Sa chaleur me fait frissonner.

― Merci.

― Ton thé est dans le salon, au fait.

― Mon thé ? m'étonné-je. Préparé avec ce qu'il faut dedans ?

― Ouais, m'sieur. A la température précise et avec la recette magique, comme à la maison.

Je lui renvoie un sourire reconnaissant. J'apprécie que mon ami ait toujours sur lui de quoi m'apaiser. Le jour où je pourrai enfin relâcher la pression, il me faudra un long moment pour récupérer – en espérant que ce jour vienne. Je prends un grand bol d'air humide, parasité par l'odeur de tabac, et ferme les yeux en me laissant bercer par le bruissement forestier.

― Pourquoi tu veux pas parler à Matthew de la suite, Will ? Je sais que tu veux le protéger de l'Ordre et que tes moindres faits et gestes vont être surveillés par plein de monde, mais y'a plus que ça, on le sait tous les deux.

Un long silence plane entre nous. Moi-même je ne veux pas admettre la vérité.

― Tu sais qu'il m'empêchera d'agir si je lui parle.

― Ouais, ce fou serait capable de t'enfermer chez lui, ricane-t-il, sarcastique.

Ce n'est pas comme s'il l'avait déjà fait...

― Mais quand même, tu peux pas le laisser dans l'ignorance, continue-t-il. Tu vas devoir lui dire d'une façon ou d'une autre.

Je tourne la tête.

― C'est prévu. Je gère la situation.

Il siffle entre ses dents.

― Will, Will, on s'connaît par cœur, toi et moi. Depuis Littlerock, après monsieur Baxter... Ah, trop d'années ont déjà passé.

― Adam...

― William Taylor, arrête ton char.

Je reste muet quelques secondes, surpris par mon nom dans sa bouche, et croise calmement les mains dans mon dos.

― Crois-moi, j'y ai réfléchi toute la nuit.

Le lève le nez vers les rares étoiles qui scintillent encore dans le hâle bleuté de la nuit.

― Quand le moment viendra, je lui dirai sans besoin de parler, murmuré-je, mélancolique.

Il acquiesce en tapotant sa cigarette.

― Matthew est la pierre angulaire de notre avenir, continué-je. J'ai confiance en lui, tout ira bien.

― J'espère que t'as raison. Parce que si ça foire, il se retrouvera seul.

Et son monde volera en éclats. Je serai alors seul responsable de son malheur. Ma conscience m'accuse et me flagelle. Si je l'entraîne dans ma perte, je me jetterai dans les flammes de l'enfer. Les cieux peuvent bien regorger de clémence, je n'en ai plus aucune envers moi-même.

― Certains doivent partir pour que d'autres brillent, il en a toujours été ainsi, fais-je, d'une voix faussement sereine. Bientôt, une page se tournera et un nouveau livre s'ouvrira.

― Tu veux fuir. Et je ne parle pas juste de l'Ordre.

Mes yeux se perdent dans la forêt, hantée par le vent froid. C'est vrai. Je fuis ce qui me fait chanceler et éveille mes cauchemars. Je fuis la culpabilité de mon existence et la douceur éprouvante de l'amour, plus effrayante qu'un millier de canines. Je préfère m'évanouir dans une obscurité dont je suis le maître pour oublier mon nom et la main vengeresse de Dieu.

― On ne peut pas fuir l'enfer lorsqu'il est gravé dans l'âme, soufflé-je du bout des lèvres.

Adam baisse la tête, puis recrache sa fumée avant de jeter son mégot. Toute parole est futile. Son chagrin est palpable, à défaut du mien. Mes larmes sont poussières, ma peine est incolore.

― Tu m'as juré que tu ne dirais rien à Keira, murmuré-je en lançant une œillade furtive vers la cuisine.

― Et je tiendrai parole. Y'a que toi et moi qui connaissons la vraie fin. Keira et l'autre con ne sauront que ce qu'il faut. J'ai juste encore du mal à croire que tu vas faire appel à ce trou de balle. Tout a dégénéré par sa faute, s'irrite Adam, en veillant à ne pas parler trop fort.

― Ce qui est fait est fait. Aujourd'hui, nous avons besoin de lui.

Adam se masse la nuque en soupirant.

― Ah, j'aimerais être aussi optimiste que toi. Tout ça m'fout mal au bide.

C'est vrai, ce défi sera le plus grand. Mais quelle que soit mon sort, l'issue restera la même.

Le véritable combat se livre entre la volonté de contrôler et l'acceptation de l'inévitable. Si mon heure est venue, qu'il en soit ainsi.

Adam grogne entre ses dents et tape sur son paquet vide dans l'espoir vain d'y dénicher une toute dernière cigarette.

― Que vas-tu faire lorsque tout ça sera terminé ? demandé-je.

― Avec le bordel qu'on va mettre, y'aura plus d'Ordre à Londres, rétorque-il en balançant la boîte en carton sur la table de la terrasse.

― Nous savons que le Vatican aura toujours des hommes tapis dans l'ombre, prêts à obéir.

― Yep. Tant que y'aura des gosses à la rue et des gens en détresse, y'aura de nouveaux toutous à dresser.

J'aperçois les gestes nerveux de ses doigts du coin de l'œil.

― Adam, quel que soit ton choix, tu n'auras fait que suivre mes directives sans me soupçonner d'avoir pactisé avec l'ennemi. Tu étais le seul en contact avec moi, personne du groupe n'était au courant pour Matthew. Dès que la vérité éclatera, tu m'accuseras de traîtrise et tu présenteras tous les éléments à charge contre moi, comme convenu. Toute la responsabilité m'incombe. Je suis l'unique traître. Dans le pire des cas, ils puniront ta complicité involontaire par un bannissement.

― Dans le meilleur, tu veux dire. J'ai claqué assez d'années pour ce monde de tarés, c'est l'bon moment pour me reconvertir.

― Je le pense aussi, approuvé-je dans un doux sourire. Mais si tel est le cas...

― Je quitte Londres et je change de téléphone, ouais, je sais. Ah... Miguel va se triturer les méninges un sacré bout d'temps, il t'est plus fidèle à toi qu'à Dieu, ricane-t-il. En revanche, les collègues...

― J'ai suivi ma propre voie et servi mes intérêts. C'est tout ce qu'ils comprendront.

― Ouais, t'es assez fou pour ça. « Sherlock »... rit-il en me jetant un œil de biais, le vampire a visé juste avec ce surnom. J'suis jaloux d'pas l'avoir trouvé avant. Tu t'souviens comment je t'appelais, moi, à l'époque ?

― « Tête d'ampoule » ? « Ce crétin de gosse » ? « Monsieur je-sais-tout » ?

― Y'avait aussi « p'tit génie d'mes couilles », ajoute-t-il, un sourire amusé aux lèvres. Ou « l'autre merdeux ».

― Je me serais bien passé de ces deux-là.

Nous rions, en proie à la nostalgie. Le vent de la forêt glisse sur mon visage et la chair de poule file sur ma peau. Je ferme les yeux, presque apaisé par cet instant hors du temps.

― Et toi, qu'est-ce que tu vas faire après ?

Mon menton retombe vers le sol, blanchi par le givre.

― Compenser un peu du mal qui a été fait. Et respirer.

Je lui rends son manteau et lisse ma soutane.

― J'espère que t'as tout prévu, s'inquiète-t-il. Les gens de l'Ordre vont te tomber dessus d'une force...

― Je saurai les recevoir.

― Le Vatican te traquera jusqu'au bout du monde...

― Qu'ils me traquent.

Je caresse ma croix du bout des doigts, relève mon col romain et fais volte-face.

― Je suis né en enfer. Leurs flammes ne m'atteindront pas.

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