― Père William, Père Thomas, mille excuses de vous déranger à cette heure tardive, tonne une voix depuis l'entrée du presbytère.
Les collègues de Blessing Faith, vêtus - à mon instar - des soutanes noires que nous portons lors de nos conseils ou des traques. Ils avancent dans l'église. L'Ordre a été plus rapide à réagir que l'autre camp. A moins qu'une alliance particulière se soit créée contre moi en dernier recours ? La haine est connue pour rapprocher.
A la tête du groupe, un homme charismatique d'environ quarante-cinq ans ; son demi-sourire cache une sournoiserie patente. Ses gants tactiques subtilement renforcés, destinés à protéger davantage les phalanges des coups que du froid de l'hiver, révèlent tant ses intentions que son goût certain pour la brutalité et l'intimidation. Son port de tête altier et sa décontraction en ces lieux ne laissent aucun doute planer quant à son identité.
Les personnes telles que lui sont chargées de régler les problèmes dans les cellules de l'Ordre, partout dans le monde. En somme, rien de bien méchant à gérer avant le grand final.
Je pars à la rencontre de mes anciens partenaires dans l'allée de la nef. Les neuf sont là, même ceux qui n'avaient qu'un petit rôle dans le groupe. Faire front ensemble contre le traître, un classique. Lorsque je me poste devant eux pour m'adresser à l'homme, la plupart détournent le regard. Honte, déception, mépris. Parmi eux, Adam, bien dans son rôle. Mais celui dont les yeux ne me quittent pas est Miguel. Lui qui m'admirait, il nage aujourd'hui dans l'incompréhension et la tristesse. J'avais beau m'attendre à sa réaction, son expression brisée m'affecte.
― Permettez-moi de me présenter, commence l'inconnu dans un geste courtois. Je suis Alessandro, ancien évêque de Naples et...
― ... Emissaire de l'Ordre, je présume ? Vous avez pour mission de faire respecter les lois vaticanes et de punir les traîtres. Pardonnez-moi, Monseigneur, fais-je avec une main sur la poitrine, mais c'est pour ainsi dire inscrit sur votre visage.
― Votre réputation vous précède, Père William. Malheureusement, votre nom est en train de faire le tour de l'Angleterre et, bientôt, de l'Europe. Si vous cherchiez la gloire, c'est chose faite.
Je dissimule un petit éclat de rire dans mon poing, puis place les mains dans mon dos avec un sourire amusé.
― Ma réputation me précède, mais vous n'en avez visiblement aucune connaissance. Je n'ai que faire de la gloire et de l'attention que l'on me porte, Monseigneur.
― Vous avez pourtant braqué tous les yeux sur vous avec cette collecte et vos discours contre-nature. Cherchez-vous le bâton pour vous faire battre, père William ? Ou peut-être estimez-vous en savoir plus que Sa Sainteté ?
Sa Sainteté. Contradictoire, pour un croyant, de citer un humain avant le Créateur lui-même.
― Je ne me permettrais jamais, Monseigneur.
L'évêque fait quelques pas songeurs autour de moi, sous le regard vigilant d'Adam et celui, inquiet, de Miguel. Je reste immobile, face à la statue du Christ devant moi.
― On m'a chargé d'enquêter sur vous, Père William. Ou peut-être préférez-vous, William Taylor ?
L'exposition de mon nom de famille - mon passé inclus - a l'effet d'une gifle. Mais je demeure paisible. Le chienchien de l'Eglise désire me sortir le grand jeu, mieux vaut le satisfaire pour l'inciter à partir au plus vite.
― J'ai appris pour votre mécène. Un vampire, quelle coïncidence.
― Un... vampire ? s'étonne père Thomas.
― Rassurez-vous mon père, affirme Alessandro, personne ne vous tiendra rigueur des péchés de William.
Je lance une œillade furtive à père Thomas, qui s'apprêtait à lui répondre. A ma demande silencieuse, il referme la bouche et reste en retrait.
― Vous avez décidément un don pour vous faire apprécier de la population vampirique, même de la plus violente. Avez-vous conquis votre mécène grâce à vos grands talents d'orateurs ou par votre dépravation, lorsque vous l'avez invité dans votre lit ?
Des murmures offusqués s'élèvent. Ma non réaction à sa pique le laisse en attente, planté devant moi. Il siffle entre ses dents.
― En plus d'un traître à l'Eglise et à votre race, vous êtes un traître à votre genre. Vous les cumulez, père William. Mais finalement, avec un passé comme le vôtre, est-ce étonnant ?
Terrain sensible. Je n'ai pas besoin de poser les yeux sur Adam pour apercevoir ses poings serrés. Alessandro est là pour m'afficher et m'humilier en public, avant de me sanctionner. Je suppose que le frustrer dans ses fantasmes de supériorité n'accentuera pas la peine que le Vatican me réserve. Je ne le laisserai pas manipuler ma jeunesse à sa guise.
― Vous avez raison. Ma mère a choisi de se prostituer au service d'un trafiquant d'enfants qui avait pour but de m'emmener pour régler les dettes de jeux de mon père, avant de mourir à mes quinze ans. Je pense que l'on peut faire mieux en matière de famille équilibrée.
L'évêque reste muet, les autres échangent des regards exorbités. Chez certains, la stupeur se mue vite en pitié ou en embarras. Alessandro s'éclaircit la voix, contrarié. Une bonne chose de faite. Etape suivante.
― Cela ne vous donne pas le droit de...
― Monseigneur, je suis conscient d'être coupable aux yeux de l'Eglise et je reconnais mes péchés, Dieu m'en est témoin. Je sais que le Vatican compte me punir et, bien entendu, me rayer de ses rangs. Sachez que j'accepte cette sanction.
Je joints les paumes devant moi, tête courbée.
― Si le Seigneur estime que j'ai pris le mauvais chemin, qu'il me corrige et guide mes pas vers la voie qui lui est favorable.
Alessandro referme la bouche et fronce un sourcil. Place au doute.
― Etes-vous bien sincère, père William ? me questionne-t-il. Vu la gravité de vos péchés, permettez-moi d'en douter.
― William s'est confessé à moi, il y a quelques heures, répond père Thomas. Cela a duré un très long moment. Je suis témoin de sa profonde détresse et de ses remords.
Je me penche humblement vers lui avec une affliction que je n'ai nul besoin de feindre. Merci, mon père...
― Pardonnez-moi pour le poids que je fais peser sur vos épaules, père Thomas, murmuré-je, le menton bas.
Il hoche la tête, bienveillant.
― Vous êtes quelqu'un de bien complexe, père William, réfléchit l'évêque, et vous semblez gérer le repenti mieux que quiconque. Mais le mal ne se déracine pas avec de simples remords.
― Monseigneur Alessandro, tente père Thomas, je pense que William...
― Père Thomas, le coupe sèchement l'évêque, représentez-vous les saintes lois vaticanes ? Ce prêtre est corrompu par le Diable et a insulté le Christ à de multiples reprises, il est une honte pour lui, pour nous tous !
Sa voix résonne dans l'église. Misère. Le péché souille-t-il donc mon âme à ce point ? Je suppose que Monseigneur Alessandro échange régulièrement avec le Christ par textos pour le connaître aussi bien. Si tel est le cas, que Dieu me foudroie sur-le-champ car je ne compte pas m'arrêter de sitôt. Père Thomas recule d'un pas, soumis à la hiérarchie. Un sourire fend le visage d'Alessandro en deux.
― Nos lois sont claires concernant les traîtres dans son genre.
Comprendre : ceux qui ne se plient pas aux désirs de quelques rois auto-proclamés seront sévèrement châtiés.
― Mais je ne vais pas appliquer la sanction moi-même, je laisse ce plaisir à l'un des hommes que vous avez trahis. Père Adam, approchez.
Pardon ? Adam le fixe avec de gros yeux, abasourdi, mais finit par s'avancer.
― Monseigneur ? répond-il anxieusement.
L'évêque le dévisage un air mielleux, puis part chercher la sanction suprême derrière l'autel, celle que j'ai utilisé pour me m'auto-flageller lorsque je me croyais maudit par Dieu. Lorsqu'Adam se voit remettre le fouet à cordelettes, il fige un regard choqué sur Alessandro.
― Monseigneur, nous ne sommes plus autorisés à utiliser le chat à neuf queues depuis longtemps, Sa Sainteté le pape l'a lui-même l'a interdit et...
― Son utilisation n'a jamais été bannie chez nous, dans l'Ordre ! le coupe l'évêque. Le chat à neuf queues sert à punir les traîtres à notre race qui ont pactisé avec notre ennemi de sang. Cet homme fornique avec un vampire de la pire espèce et il s'est associé au Malin pour endoctriner les jeunes esprits de notre pays à travers son discours profane pro-vampires. Au nom du Christ, père Adam, je vous ordonne d'appliquer la sentence !
Adam se statufie. Cette ordure cherche en réalité à punir la connivence que nous avons et qu'il ne peut prouver en lui imposant de me torturer. De par sa proximité avec moi, nous savions qu'il serait soupçonné, c'est pour cette raison que je me suis assuré que personne ne remonte jusqu'à lui. Ce qu'il m'était impossible de prévoir, en revanche, c'était le degré de sadisme de cet émissaire. Alessandro troque sa froideur pour un rictus en coin et s'approche de la joue d'Adam.
― A moins que vous n'ayez été son complice durant tout ce temps ?
Je lance une œillade de biais à Adam, suffisamment éloquente pour le convaincre de se taire et coopérer. Ses poings se serrent. Je sais que me torturer est plus horrible pour lui que pour quiconque, lui qui m'avait déjà maltraité à l'école, quand j'étais jeune. Mais pour son bien, je ne lui laisse pas le choix.
― Ce prêtre vous a tous manipulé, reprend Alessandro en visant également les autres. Qui sait ce qu'il a pu faire de pire encore dans cette paroisse ? Des enfants se sont plaint de vous, père William, des enfants qui vous faisaient confiance... Vous faites partie de ces hommes qui entachent la réputation du catholicisme.
Ces accusations sont un coup dans le ventre. Oser m'accuser de telles horreurs, moi... Alessandro veut me salir jusqu'au bout, et il n'a aucune limite. Des regards scandalisés se braquent sur moi, mais je ne cille pas. Du coin de l'œil, je vois Adam trembler de rage.
― Vous allez refuser de punir un tel pécheur, père Adam ? continue-t-il, venimeux. Dans quel camp êtes-vous ?
J'imagine la haine qui consume mon ami. Toutefois, fidèle à mes directives, il ravale son animosité et respecte ma volonté en obéissant à contrecœur, sous les regards fuyants de nos confrères. Nombre d'entre eux sont effrayés par l'évêque et ses pouvoirs. Les seuls qui restent stoïques sont ceux qui me connaissent mal et me jugent aussi durement que lui.
― Ces accusations sont fausses, vous ne pouvez pas faire ça, Monseigneur, le supplie père Thomas. Le pape Emilien a fermement condamné le châtiment corporel et...
D'un geste de main, Alessandro envoie un autre prêtre le fait taire par un coup de genou dans l'abdomen. Un frisson d'horreur me traverse. L'homme que je considère comme mon grand-père se fait frapper par ma faute.
― Si Monseigneur veut me châtier au nom du Christ, je suis prêt, fais-je d'une voix aussi calme que possible.
Alessandro se braque vers moi et lève une main pour interrompre la violence. Je pars m'agenouiller sur les marches devant l'autel et défais mon long manteau noir jusque sur mes hanches pour rester en soutane, dans l'attente des coups. Mais lorsqu'Adam se positionne dans mon dos...
― Une bonne punition doit être également douloureuse pour l'esprit, clame Alessandro. Vous, vous êtes de ceux que rien n'atteint jamais, père William. Ou presque.
Il arrache le fouet des mains d'Adam, ordonne aux autres de m'écarter, puis bouscule père Thomas pour l'agenouiller à ma place sur les marches. Mes yeux s'écarquillent.
― Vous ne pouvez pas, il est innocent !
― Malgré lui, père Thomas a été votre complice et défend aujourd'hui vos péchés. Il sera votre sentence.
Père Thomas tourne la tête vers moi, les yeux luisant d'angoisse. Le fouet fend l'air, Alessandro abat les cordelettes avec force sur son dos fragile.
― Non !
Je me jette en avant, connaissant bien sa santé et sa vulnérabilité, mais les autres me maintiennent à plusieurs. Et le fouet continue à tomber. Ciseler ses vêtements et taillader sa chair avec une violence inhumaine, frapper ses os et ses articulations malades, lacérer ses muscles fins et sa nuque délicate. J'assiste impuissant à l'horreur, déchiré par ses gémissements de souffrance. Sur mes cris de protestations, le fouet se déchaine dans une pluie empourprée, aussi sauvage et impitoyable que le tortionnaire. Le sang coule de la soutane rougie et s'étale sur les dalles claires. Une nausée me soulève l'estomac. Puis, l'arme s'abaisse. Les larmes inondent mes yeux. Je tombe à genoux, épouvanté. Père Thomas est inerte sur les marches.
Le bourreau s'écarte, satisfait et essoufflé. Je rampe vers Père Thomas, gisant au milieu d'une mare de sang, et caresse son visage meurtri.
― Mon père... balbutié-je, mon père, répondez-moi... !
Ses paupières battent quelques instants, le temps de m'adresser un regard tendre. Je serre sa main dans la mienne, les lèvres frémissantes. Les mots ne parviennent pas à sortir, mais ils sont gravés en moi au fer rouge.
Je suis désolé !
― Mon garçon...
Il lit dans mes larmes comme je lis dans les siennes son amour pour moi. Puis, ses paupières se referment. Son pouls sous mes doigts disparaît. Les éclats de mon cœur brisé partent en fumée.
― On n'échappe pas à la colère divine, père William.
La voix d'Alessandro me cingle. Un appel au sang. Comme je comprends Matthew, en cet instant. J'articule, mâchoire serrée :
― Vous n'échapperez pas à la mienne.
― Pardon ? Vous me menacez, moi ?! Ecoutez-moi bien, à l'aube, vous serez derrière les barreaux pour son meurtre ! me fustige-t-il en désignant père Thomas du doigt. Qui pensez-vous que les autorités croiront ? Un loyal représentant du Vatican ou un prêtre profane pro-vampire ? Vous êtes le seul responsable à tout ça ! Sa mort sera votre pénitence. Vous avez joué avec les règles de l'Ordre, père William, vous avez perdu.
Je me relève lentement avant de me retourner vers lui, le regard noir.
― Le seul qui va perdre la partie, c'est vous.
Alessandro me jette le fouet au visage et brandit son index sur moi.
― Saisissez-le ! ordonne-t-il au groupe. Ceux qui refuseront de se soumettre à la volonté de Dieu seront considérés comme des traîtres !
Ses sbires ne se font pas prier. Ils dégainent leurs armes blanches et me sautent dessus. Etant sans défense face à eux, j'encaisse quelques coups légers, mais parviens à déporter leurs assauts et les neutraliser sans trop de mal en les clouant brutalement au sol un à un. Alessandro jette son dévolu sur mes anciens partenaires. C'est là que je constate qu'Adam s'est échappé. Une bonne nouvelle.
― Qu'attendez-vous ? hurle l'évêque. Vous subirez le même sort si vous prenez sa défense !
Mes collègues n'étant pour la plupart jamais sur le terrain, rechignent à l'idée de m'affronter. Il recule pour leur céder la place et en bouscule même quelques-uns. Sans doute imagine-t-il que je projette de le tuer dans l'église. A mon grand regret, je ne peux pas l'éliminer ici et maintenant. Ils s'avancent vers moi, tremblants comme des feuilles, et finissent par se lancer à l'attaque à l'unique force de la peur. Malgré le jugement qu'ils ont pu porter sur moi, je compatis à leur malheur, ils ont toujours été plein de bonnes intentions.
Je dévie leurs mouvements en utilisant leur élan et les envoie au sol sans leur infliger trop de blessures. Le jeu se répète ainsi jusqu'à les épuiser. Quand vient le tour de Miguel, je le laisse m'approcher et contemple le désarroi sur son visage, mêlé à un sentiment atroce de traitrise. Je ne peux que le comprendre.
― William... larmoie-t-il, tu étais mon modèle, tu étais le meilleur pour moi... ! J'ai toujours cru en toi... !
Animé par sa douleur personnelle, il s'élance vers moi. Je l'attrape par un bras pour le retourner, le piège dos contre mon torse, puis enroule mon coude autour de sa gorge et serre doucement sa jugulaire pour diminuer l'afflux sanguin. Agrippé à moi, il perd peu à peu connaissance. Je souffle au creux de son oreille avant qu'il ne s'évanouisse :
― Et tu as eu raison.
Je l'accompagne au sol dans sa chute. Pardonne-moi, mon cher Miguel. Bientôt tu comprendras. Je me relève face à Alessandro.
― Cette bande d'incompétents... peste-t-il.
― Quelle frustration de devoir obéir aux ordres du Vatican, fais-je, narquois. Si vous aviez eu plus de courage, vous vous seriez fait un plaisir de me planter dans le ventre le couteau que vous avez à la ceinture. Quoique, le pistolet que vous cachez sous votre manteau aurait été bien plus efficace. Malheureusement, terriblement plus bruyant dans une église, surtout en pleine nuit, alors que tout votre groupe git encore sur le sol. Mais vous n'en êtes pas à votre premier coup d'essai, je ne vous apprends rien.
Il ricane, piqué à vif, et sort ledit couteau de son vêtement.
― L'Ordre ne m'en voudra pas d'avoir éliminé un pécheur tel que vous. Je suis sûr qu'ils trouveront une belle histoire à raconter. Je vois bien Père Thomas se défendant contre vous avant de mourir, qu'en pensez-vous ? crache-t-il, provocateur.
― L'Ordre trouvera toujours comment laver une ordure comme vous, je n'en doute pas.
Il se jette sur moi à ces mots. Un revers de bras pour balayer sa main armée, puis projection à deux paumes dans la colonne vertébrale pour le balancer de tout son élan contre un banc. Je me replace patiemment face à lui, les mains dans le dos, tandis qu'il se relève dans un grognement. Son couteau a glissé sur les dalles, derrière plusieurs rangées d'assises. Il n'est pas près de le retrouver.
― Je m'impatiente, Monseigneur, dis-je en marchant à pas lents vers l'autel.
― Taisez-vous ! Si horripilant... !
Il me fonce dessus et essaie de m'attraper tout en m'envoyant un crochet du droit. Je m'écarte d'un pas. Dégagement de la saisie dans un mouvement de bras, refroidissement de ses ardeurs d'un tranchant de la main dans les dents, puis uppercut dans l'estomac et un second dans le flanc du côté exposé. Son souffle se coupe, son corps se plie en deux. Il grogne, se redresse et tente un direct maladroit que je dévie en souplesse. Je le pousse en avant, contre les marches.
Je tire à moi le napperon de l'autel d'un geste vif, lui jette en plein visage alors qu'il se relève pour m'attaquer et profite de son aveuglement pour lui envoyer mon poing dans le nez. Fracturé. Je le contourne et entraîne avec moi l'un de ses bras entre ses omoplates pour l'immobiliser. Il se raidit, me gratifiant au passage d'un juron. Quelle déception de devoir le forcer à partir. Je me console avec l'idée qu'il recevra bientôt son dû.
Dans l'obligation de me montrer cordial avec lui, je relâche ma prise et lui fait manger le sol d'un chaleureux coup de pied entre les reins. Est-ce le bruit d'une dent qui roule sur les dalles ?
Il se remet maladroitement sur ses pieds, désorienté, alors que je regarde les derniers estropiés du groupe s'échapper par l'entrée principale, tirant à bout de bras quelques collègues éclopés. Les portes claquent derrière eux. Il y avait tant de bonnes personnes parmi ces hommes, quel gâchis.
― Vous n'allez pas vous en sortir comme ça ! hurle Alessandro en chancelant dans l'allée, au comble de l'humiliation. J'ai des amis à Scotland Yard !
― Ma foi, j'en suis ravi pour vous.
Il recule en direction de la sortie, l'index brandi sur moi.
― Ils vont se charger de vous !
― Fort bien.
Les portes s'ouvrent dans un grincement avant même que les mains de l'évêque n'atteignent les poignées. Une ombre s'étire sur le sol. A cet instant, mon téléphone vibre dans la poche de mon pantalon. Un rythme de vibrations très précis. Il est là.