PDV William
Je reprends conscience au milieu d'un grand lit. Mon corps est si lourd... La lampe de chevet tamise la pièce d'une chaude lueur. Lorsque je réalise que je ne suis pas dans ma chambre, je me redresse en sursaut. Mes habits, où sont-ils ? Par autopalpation, je constate que je suis en caleçon. Ce cinglé, il m'a...
― Il t'a pas baisé, si c'est ta question. Il t'a ramené pour te protéger, malheureusement...
Je me braque vers la porte. Une femme à la moue dédaigneuse et habillée tout en noir, mâchonnant vulgairement un chewing-gum, est assise sur une chaise, les jambes écartées. Elle me fixe d'un air las.
― T'as vraisemblablement jeté un sort à mon frangin, mon père.
Son frère ? Matthew serait son frère ?
― Je... je ne suis pas sûr de comprendre.
Elle pousse un soupir agacé et croise les bras.
― Mon abruti de petit frère a toujours été quelqu'un de bon. Beaucoup trop bon pour son propre bien. Ce monde l'a pressé comme un citron pour tirer le meilleur de lui et l'a réduit en miettes, tout particulièrement à la mort de son ex-femme.
Mes yeux s'agrandissent. J'étais à mille lieues d'imaginer qu'il avait déjà été marié à une femme, encore moins qu'il l'avait perdue. Comment cela a-t-il pu m'échapper ? Il paraît si jeune et elle semble évoquer une vie entière alors que je lui donnais au grand maximum trente ans...
― Je sais, t'étais loin de t'en douter, reprend-elle. Faut dire qu'il cache beaucoup de choses. Surtout quand ça concerne les sentiments.
― Les sentiments ? m'étonné-je.
― Putain, mon père, fais un effort, il est à fond sur toi ! A mon grand malheur...
Je reste bouche bée. Une sorte d'attachement ou d'obsession passagère, je pouvais y croire, mais de réels sentiments...
― Ça te choque tant que ça ?
― Plutôt. Il est assez... instable.
― Ouais, ça c'est normal. Il hait profondément les hommes comme toi. J'veux dire, les hommes d'église. Et moi aussi, d'ailleurs.
Certes, il a confessé avoir eu des préjugés sur moi, à son arrivée, mais les termes qu'elle emploie sont très forts. Pourquoi ces deux-là ont-ils une telle aversion envers nous ? Je tourne la tête, confus. Espérons au moins que la balance penche plus vers de ses bons sentiments, désormais.
Il a été d'un grand réconfort, cette semaine, et m'a beaucoup aidé. Mais cette haine est inquiétante, surtout en connaissant son obstination avec moi. Qui me dit qu'elle ne le poussera pas à me blesser véritablement un jour ?
― Au cas où t'y penserais, même si ta présence me file de l'urticaire, j'vais pas te tuer dans ton sommeil. Il me détruirait dans la seconde.
Elle ricane, non sans une pointe d'amertume dans la voix. Je ne sais pas sur quel pied danser avec cette femme. Autant opter pour la douceur.
― Pourquoi m'avoir confié tout ça sur lui ? Ce sont des choses très personnelles.
― Parce que cet abruti me gonfle, mais j'peux pas aller contre ce qu'il ressent. Maintenant, au moins, ça traînera plus en longueur. Il a du boulot qui l'attend.
Elle se lève avec un sourire satisfait en coin. Si on récapitule : je suis enfermé ici avec deux personnes qui haïssent ce que je suis et l'un des deux a une obsession conflictuelle pour moi. J'ai un certain chic pour m'entourer de personnes saines.
Elle se retourne dans l'encadrement de la porte et me fixe avec un regard accusateur.
― Tu te dis certainement que c'est un type dangereux, mais tu te trompes. Il a un plus grand cœur que la plupart d'entre vous. Et il t'aurait jamais fait de mal. Pas à quelqu'un à qui il tient. Pour son bien, j'espère qu'il lâchera vite l'affaire avec toi, même si j'en doute, finit-elle dans un murmure.
Je ne réponds rien. Qu'elle se rassure, nous sommes bien trop différents, lui et moi, pour qu'une quelconque histoire ne débute entre nous.
― Keira, qu'est-ce que tu disais ?
La voix de Matthew retentit derrière la porte.
― Oh, trois fois rien. Juste que t'es raide dingue de lui.
― Tu te fous de moi ? Pourquoi t'as dit ça ?!
― Et j'ai parlé de Winry. J'ai dit aussi que tu haïssais les curés. Allez, salut !
Elle disparaît dans l'angle du couloir. Matthew demeure prostré avec un regard écarquillé. Je me pince les lèvres pour ne pas sourire ; chacun son tour d'être humilié. Il tire sur son col roulé noir pour évacuer une bouffée de chaleur et pénètre dans la chambre.
― J-je suis désolé, ma sœur elle... elle devait juste me dire quand tu te réveillerais, pas déballer toute ma vie.
― Ne soyez pas désolé pour si peu.
― Tu vas continuer à me vouvoyer ? On n'est pas à l'église...
― Tant que j'en aurais décidé ainsi. Je peux vous poser une question ?
― Tout ce que tu veux, dit-il en s'asseyant au bord du lit.
― Vos menaces perverses du début, qui me dit que ça ne vous reprendra pas quand vous vous lasserez d'être gentil avec moi ? Qui me dit que vous ne m'agresserez pas sur un coup de tête ? Vu votre brutalité, tout à l'heure, je m'attends à tout.
Sa bouche se froisse dans une moue peinée.
― Je comprends que tu te méfies de moi, et je suis désolé de t'avoir malmené, ce soir. Ce n'était pas mon intention. Je ne voulais vraiment pas tout gâcher, pas après tous ces efforts pour me rattraper...
Il baisse les yeux.
― J'ai beaucoup de mal à vous cerner, monsieur Nightingall, fais-je sur un ton suspicieux. Qui êtes-vous vraiment ?
― L'homme qui a passé la nuit au pied de ta porte pour ne pas te laisser seul. Qui t'a soigné, qui est venu se confesser alors qu'il a horreur de ça, juste pour avoir un échange paisible avec toi. Celui qui répare un lieu de culte qui n'est pas le sien, juste parce que c'est ta maison et veille sur ta santé par affection. Tout ça, ça se simule pas.
Je garde le silence. Bien que son discours soit censé – et me semble honnête –, j'ai le sentiment qu'il y a des informations importantes qu'il me cache. J'aimerais juste être sûr qu'il ne représente aucun danger pour moi.
Il me regarde droit dans les yeux, rongé par la culpabilité.
― Ecoute, tu n'aurais pas dû subir les conséquences de mon propre passé. C'était injuste et... je m'en veux beaucoup de t'avoir fait du tort. Je suis vraiment désolé, William.
Je le contemple de longs instants. Ses remords sont sincères. Il y a tant de gens dont j'ai entendu les horreurs et les récits d'actes ignobles, dans le confessionnal. Je sais différencier une personne sans scrupules d'une personne qui a des valeurs, mais a pris un mauvais chemin et désire se repentir.
Il a beau avoir eu un comportement malsain, Matthew n'est jamais passé à l'acte, malgré toutes les fois où il en avait l'occasion. Et, ce soir, sa brutalité était dénuée d'intérêt sexuel. De plus, qui serais-je pour le condamner, moi qui ne suis ni plus ni moins qu'un tueur en série ? Moi, le prêtre maudit par Dieu, j'ai sans doute plus de crimes à mon actif que mon mécène. Alors que j'allais clore le sujet, une autre question me vient à l'esprit.
― Vous me parliez d'amitié et d'amour, mais nous sommes très différents. Qu'espérez-vous qu'il se produise entre nous ?
Il me fixe avec ses deux amandes grises.
― Savoir que ton cœur bat plus fort quand je suis avec toi. Continuer à prendre soin de toi. Te voir prendre du plaisir dans mes bras pendant que je te fais l'amour, de ton plein gré.
Le feu me monte aux joues. Je ne m'attendais pas à une telle réponse ! Je regarde ailleurs, mal à l'aise.
― Ah, désolé. J'ai tendance à être un peu trop direct.
― J-j'ai posé une question, vous avez répondu. Arrêtons-nous là.
Je me retiens de tripoter ma croix.
― Comment puis-je avoir confiance en vous, après ce soir ? demandé-je, les sourcils froissés. Après tout, vous venez de m'enlever.
Il me dévisage avec un tendre sourire.
― Pour votre sécurité, mon père, me répond-il d'une voix douce. Je ne pouvais pas te laisser seul et blessé face à ce démon. Mais à partir d'aujourd'hui, je te promets que mes actes parleront à ma place. Mon seul désir est de te protéger.
La sincérité de sa réponse me contrarie autant qu'elle me réconforte. Je détourne un regard froncé.
― En parlant du démon, comment comptez-vous m'aider ?
― D'abord, j'ai besoin d'en savoir plus sur lui. Je vais contacter une amie de Milan qui pourra me conseiller. Quoiqu'il arrive, il ne te fera pas de mal tant que tu resteras auprès de moi.
― Un subterfuge pour me faire tomber amoureux de vous ? fais-je en croisant les bras, à moitié sérieux.
― Aurais-je besoin de ça ?
J'ignore sa question dans une moue lasse. Je sais que ma vie n'a pas été propice au romantisme, mais si je n'ai jamais éprouvé de désir ni de sentiments pour qui que ce soit, ce n'est pas lui qui dérogera à la règle. Je repense à ce moment où mon corps a réagi au sien, l'autre fois, alors qu'il tenait mes cheveux dans sa main. Le souvenir de ce frisson agréable au creux de mon ventre vit encore dans ma mémoire et suffit à réchauffer mon entrejambe. « Si ça, c'était pas du désir... un gros désir, même ! » lance la voix narquoise de ma conscience. Je me renfrogne en moi-même.
― Je ne veux personne dans ma vie, rétorqué-je en tournant la tête dans la plus grande indifférence.
― Pourquoi ça ? Le pape a autorisé les hommes de foi à avoir des relations et se marier, tu es libre.
― Je ne suis pas intéressé par ce genre de relations, c'est tout. J'ai une vie très... chargée.
Il me fixe avec un regard indescriptible, comme s'il compatissait à ma solitude tout en décryptant les tréfonds de mon âme. Mes yeux roulent sur le côté. A quel point cet homme peut-il être perturbant ?
― Tu sais, j'ai fait des choses assez horribles dans ma vie.
― C'est votre façon de séduire un prêtre ? plaisanté-je, ironique.
― Je veux juste que tu aimes celui que je suis vraiment, avec mes qualités et mes défauts.
Deux hommes horribles, pour un seul d'honnête...
― J'ai appris que les gens bien devaient parfois faire certaines choses terribles pour une cause juste ou pour protéger les leurs, poursuit-il en me regardant avec intensité. Et tu sais ce qui change en eux, au fond ? Rien, si ce n'est l'image qu'ils ont d'eux-mêmes et leur solitude. Leurs cœurs, eux, ne changent pas. Parce qu'il n'y a pas meilleur homme que celui qui s'oublie pour le reste du monde.
Ma froideur se décompose. Ces mots résonnent en moi et touchent ma conscience torturée. « Il n'y a pas meilleur homme... » Pourrais-je être cet homme bien et respectable aux yeux d'une personne dans ce monde ? Pourrais-je être autre chose qu'un monstre ? Une chaleur douloureuse s'abat sur mon cœur.
― William ?
C'est lorsqu'il prononce mon nom avec un air soucieux que je réalise que ma gorge est nouée. Je m'éclaircis la voix pour reprendre contenance.
― Excusez-moi, je...
― La fatigue, je comprends, dit-il avec un clin d'œil, comme pour m'aider à justifier ce moment d'égarement.
― Oui, la fatigue.
Nous échangeons un léger sourire. Pourquoi ai-je l'impression qu'il lit en moi alors que je suis incapable de le cerner avec justesse ? Que son attitude étrange cache une logique implacable et un être plus complexe que sa légèreté ne le laisse paraître ? C'est la première fois que je ressens ce trouble avec quelqu'un.
― Bon, ma sœur ne t'a pas trop effrayé ? demande-t-il pour changer de sujet.
― J'ai connu pire. Lequel de vous deux a été adopté ?
Il me regarde avec un air amusé.
― D'habitude, les gens nous croient demi-frères et sœurs.
― Votre enfance a été plus compliquée que ça. Je dirais même qu'il y a plus qu'une adoption.
Il se penche vers moi, taquin.
― Avec ton brillant esprit de déduction, tu finiras bien par trouver, Sherlock.
Je souris dans mon poing, incapable de résister à cette comparaison, puis croise les bras.
― Bien, et vous ? Que pouvez-vous deviner sur moi ? Surprenez-moi.
― Je pense avoir une information de taille.
― Une seule ? fais-je en haussant un sourcil. Ma foi, c'est bien pauvre.
― Crois-moi, celle-là, elle vaut beaucoup de points. Mais tu ne la connaitras pas tout de suite.
Je me pince le menton.
― Vous attisez ma curiosité, monsieur Nightingall.
Il s'installe plus à l'intérieur du lit et retrousse les manches de son pull.
― Dis-moi, tu pourrais me montrer cette marque à ton mollet ? J'aimerais la voir de plus près.
Je retire la couverture d'un côté pour exposer ma jambe droite et il fait glisser ses doigts sur ma peau. Je me crispe lorsqu'il effleure le serpent.
― Excuse-moi, ça doit faire mal
Ses yeux remontent sur l'un de mes flancs.
― Tu t'es brûlé ?
Je baisse le nez et découvre avec stupeur les traces fraîches de brûlures qui parcourent mes côtes. Comment est-ce possible ? D'où viennent-elles ? En retirant la couverture de mon ventre, je comprends : les marques des coups de poignards, de machette et les déchirures causées par les canines parcourent mon abdomen et ma poitrine. L'enfer est gravé dans ma peau comme si je m'étais fait attaquer il y a quelques jours...
Les images me reviennent en mémoire par flashs, dans toute leur violence et leur horreur. Le bruit ignoble de ma chair perforée et déchirée résonne entre mes tempes. Je ferme les yeux, le cœur battant à rompre.
― William ?
― C'est... c'est juste le démon, ce n'est rien.
― Le démon ? Il t'a attaqué ?
― Pas... directement. Nous en parlerons un autre jour, si vous voulez bien.
Je rouvre les yeux dans une longue inspiration et reprends mon calme alors que l'écho de mon cauchemar s'estompe. Matthew affiche une moue peinée.
― Je vais te soigner, dit-il en récupérant un gel sur le chevet.
― Ce n'est vraiment pas nécessai...
Il applique le produit en couche épaisse sur une brûlure qui longe ma cuisse avant même que j'ai terminé ma phrase. L'effet rafraîchissant est immédiat.
― C'est le même produit que l'autre fois ? demandé-je, inquiet.
― Il y a de la salive oui, mais en plus faible dosage que dans la salle de bain. Tu n'auras pas les mêmes effets. C'est un gel qui contient surtout de la trolamine, de l'octanediol, du camphre et du linalol.
― Une composition très précise.
― C'est moi qui l'ai fait.
― Vraiment ?
― Ça t'en bouche un coin, hein ?
― Plutôt, fais-je dans un sourire. Auriez-vous fait des études de médecine ?
Il hésite quelques secondes.
― Mmh, oui. Je me suis occupé de certaines personnes avant de changer de voie.
J'ai l'impression que cette question le dérange.
― Et quel âge avez-vous, sans indiscrétion ?
― Trente-deux ans.
― Eh bien, je suis admiratif, très cher.
― Le pervers blindé de fric se révèle un peu moins con que prévu ?
― Je ne me montrerais jamais aussi vulgaire.
― Non, t'as pas besoin de ça. Dès que j'ai fait trois pas dans l'église, tu m'as exterminé en trois phrases.
Je baisse les yeux et souris derrière ma main.
― Bien. Puisque vous maîtrisez mieux que moi, je m'en remets à vous, Docteur Watson.
― C'est trop d'honneur, monsieur Holmes.
Je le regarde étaler la pommade et masser la zone anesthésiée. Il est vraiment doué de ses mains. A-t-il aussi été kiné ? Avec lui, je commence à tout envisager.
Mes muscles tendus se décontractent peu à peu. Je n'avais encore jamais raté autant d'informations sur quelqu'un et, pourtant, le premier portrait que j'avais dressé de lui était détaillé. Finalement, son profil est bien plus intéressant que prévu. Il laisse l'impression d'avoir de nombreuses vies derrière lui, à seulement trente-deux ans, c'est surprenant. Il y a quelques jours, j'aurais tout fait pour le tenir loin de moi. Aujourd'hui, j'ai juste hâte d'en savoir plus sur lui.
Il s'attèle à mon bras brûlé après s'être assis près de ma hanche. Je me réallonge dans le lit et ferme les yeux, la tête dans l'oreiller. Je ne sais pas ce qu'il a mis de plus dans ce gel, mais les effets sont très agréables, sans être perturbants. Ou alors est-ce son talent pour les massages qui me procure un tel bien-être ? Depuis que ses mains sont sur moi, je suis sur un petit nuage. Je pourrais presque m'endormir.
― Matthew, qu'est-ce que j'avais de faux à votre sujet, lorsqu'on s'est rencontrés ?
― Mmh, en fait, c'était presque un sans-faute. Par contre, je ne suis pas un si grand tombeur que ça.
― Menteur. Vous avez eu beaucoup d'expériences, la question ne se pose même pas.
Je sens son souffle chaud au-dessus de mon visage.
― Et cette idée te plaît ? murmure-t-il.
Je rouvre les yeux sur lui et trouve son nez à quelques centimètres du mien. Le gris magnétique de ses yeux est hypnotisant. Entre ses fines cicatrices et ses iris bicolores, son regard a quelque chose d'irréel. Un charme presque animal.
― C'est vrai. Il y a quelques années, j'enchaînais encore les aventures, admet-il d'une voix suave. Je suis quelqu'un de passionné. J'aime le plaisir que s'offrent deux corps nus enlacés. Mais j'aime surtout entendre mon partenaire gémir et le voir se contorsionner sous mes doigts quand je lui fais l'amour.
Une tension naît au centre de mon corps à ces mots, bien trop francs à mon goût. En temps normal j'aurais été submergé par la honte, mais je suis trop détendu pour réagir vivement.
Tout en continuant à masser mon bras, son pouce remonte depuis le pli de mon coude jusqu'à mon biceps dans un chemin précis. Un violent frisson me traverse et des papillons battent avec fureur dans mon ventre jusque dans mes cuisses. Mes yeux s'agrandissent et ma bouche s'entrouvre dans une respiration brûlante. Je le fixe, déconcerté. Il sourit avec malice et s'approche de mon oreille :
― Le corps humain n'a aucun secret pour moi, père William.
Je déglutis. Il se redresse pour poursuivre ses soins, satisfait par ma réaction. S'il est capable d'exciter quelqu'un juste en effleurant un nerf sur son bras du bout d'un doigt, je n'imagine pas ses talents en matière de sexe...
Inspirées par toutes les romances que j'ai pu lire ou voir, des images torrides de lui et moi apparaissent dans mon esprit et je deviens la proie de mes propres fantasmes. La chaleur me monte au visage. Malgré ma tentative de rester de marbre, je dois tourner la tête pour lui cacher mes joues rosies, mais j'imagine bien qu'il se délecte de mon embarras.
― Je... je crois que je vais continuer moi-même.
― Il faut masser la zone efficacement, mon père, dit-il en étalant le gel sur mon flanc d'un toucher léger. Avec des mouvements précis et délicats, pour bien faire pénétrer...
Je contrôle ma respiration pour ne pas laisser mon corps réagir à ses sous-entendus lubriques. Cette espèce de pervers... Si je n'avais pas été aussi détendu, je l'aurais recadré en bonne et due forme. Au fil des minutes, les effets du gel et la fatigue aidants, je referme les yeux et le flot agité de mes pensées se dissipe. Le bien-être se diffuse dans chaque fibre de mon corps, anesthésiant toute douleur sur son passage. Les doigts de Matthew se baladent en silence sur mon torse et apaisent mes blessures fantômes. Ce gel est miraculeux, j'ai l'impression de nager dans les endorphines.
Dans un état second, je m'abandonne à ses soins. Il n'y a aucune raison qu'il s'en prenne à moi maintenant. Vraiment aucune. Une pointe d'appréhension m'empêche de sombrer dans le sommeil, malgré l'épuisement. Ses mains descendent sur mon ventre, s'aventurent autour de mon nombril. Mon cœur s'accélère et mes paupières tremblent. La froideur du gel sur ma peau me fait frémir. Je veux croire en mon intuition, mais mon expérience...
― William.
La peur est la plus forte. Je rouvre brusquement les yeux, dans l'angoisse.
― Je ne vais rien te faire.
Comment a-t-il su que... Il m'adresse un sourire rassurant, puis retire ses mains après avoir fini d'étaler le gel et replace la couverture sur moi pour me border avec soin.
― Je veux que tu tombes amoureux de moi dans les règles de l'art.
Je le dévisage, étonné. Il se lève en dépliant ses manches avant de me lancer une œillade taquine.
― Et crois-moi, je vais tout faire pour y arriver.
― Beaucoup de confiance pour si peu de réussite.
― L'ambition me porte chance.
Je lâche un petit rire.
― Je vous souhaite bien du courage. Il va vous en falloir en partant de si bas.
― Persévérance est mon deuxième prénom.
― Et le mien est « solitude », fais-je dans un sourire angélique, provocateur. Merci pour vos soins, docteur, et bonne nuit.
Il s'éloigne sur un clin d'œil amusé et éteint la lumière.
― Bonne nuit, mon père.