PDV William
Le doux fracas des vagues aux pieds des falaises me berce. Assis contre le mur de la petite chapelle abandonnée, je rouvre les yeux sur l'océan qui se tient à une dizaine de mètres devant moi pour jeter un œil à mon smartphone. Toujours pas de réponse. Matthew m'en veut sans l'avouer, c'est évident. Cela n'annonce rien de bon pour l'avenir.
Je soupire et laisse retomber ma tête contre la pierre. J'aurais aimé passer ces quelques jours loin de Saint Edward avec lui plutôt qu'à attendre seul que notre dernier partenaire de crime me donne leur feu vert, mais je n'aurais pas eu la foi de lui cacher la suite des évènements.
De plus, Adam a raison. S'il avait été mis au courant, il aurait trouvé le moyen de me retenir pour ne pas me laisser risquer ma vie. Je préfère qu'il me pense en repos durant quelques jours et lui dire toute la vérité à la fin, comme prévu, pour ne pas l'inquiéter ni lui mentir.
― C'est pas un piège, c'est sûr ?
Je tourne la tête vers la voix réprobatrice. Sylas, planté dans l'herbe, ses cheveux rouges rassemblés en bataille, me toise d'un œil méfiant tout en restant attentif aux alentours.
― Si j'avais voulu te tendre un piège, je ne t'aurais pas fait venir dans cet endroit, fais-je en me levant.
Je lui tends une enveloppe à l'intérieur de laquelle se trouvent toutes mes instructions. Je pensais que mes cernes étaient marqués, mais les siens sont d'un autre niveau. Le stress de tomber entre les mains de Matthew le ronge.
― J'aurai rien à faire de plus, hein ? dit-il en rangeant l'enveloppe dans son manteau. Après ça, Mat me poursuivra pas ? Tout sera effacé ?
― Il saura que tu m'as aidé et je plaiderai en ta faveur.
― Ha, tu le connais pas, grimace-t-il en passant une main nerveuse dans ses cheveux.
― Sylas, dis-je en m'approchant de lui, s'il y a bien un moment dans ta vie où tu as l'occasion de te racheter à ses yeux, c'est maintenant. Si tu fais ce que je demande à la lettre, peu importe que je m'en sorte ou non, il saura que tu as pris des risques pour la réussite de mon projet et que tu as cherché à rattraper tes erreurs. Et ça, crois-moi, il le comprendra très bien.
Il me dévisage de longs instants, puis baisse les yeux.
― J'aurais dû comprendre que c'était mort entre lui et moi en le voyant entrer en rage pour toi, abandonner dès qu'il m'a fracassé, dans la forêt... Lyssa n'est jamais venu pour moi après des années de relation, mais il est venu pour toi.
― Ecoute, ça ne sert à rien de...
― Dites-moi que je rêve ?!
Nous nous retournons tous les deux.
― M-Matthew ? balbutie Sylas, horrifié. Tu m'as menti, William !
Un frisson me traverse.
― Ce n'était pas prévu, je te le jure.
Les poings serrés et les yeux luisant de haine, Matthew marche vers lui tel un prédateur enragé. Ses canines commencent à sortir, ses iris à s'enflammer. Sylas recule, en panique. Il ne s'en sortira pas vivant. Alors que Matthew s'apprête à l'attraper, je m'interpose entre eux.
― Matthew, s'il te plaît, calme-toi.
― Pousse-toi, William.
Sa voix est aussi effrayante qu'un coup de tonnerre.
― Matthew. Regarde-moi.
Son regard reste vissé sur Sylas. Je cueille son visage entre mes mains.
― Il est temps que ça s'arrête, articulé-je d'une voix douce.
― Que ça s'arrête ? hurle-t-il. T'es fou ? Tu sais pas qui je suis ?!
― Je sais qui tu veux redevenir, Matthew Nightingall...
Je saisis son poing, raidi par la colère, et le pose contre ma joue. Son regard écarlate alterne entre Sylas et moi. Si près de mon visage, son poing finit par se décrisper. Sa main s'ouvre sur les marques sanguinolentes de ses ongles, plantés dans sa paume, et accueille ma joue dans sa chaleur. Je glisse les doigts dans sa nuque avant de presser mes lèvres sur son front.
― Mon vampire...
Un baiser sur la cicatrice de son nez, puis un dernier sur la bouche, tendre et plein d'amour. Ses muscles se décontractent. Il fait un pas vers moi pour m'étreindre contre lui et fourre le nez dans mes cheveux pour se noyer dans mon odeur à pleins poumons.
Sylas s'écarte à pas lents, aussi silencieux qu'un renard qui échappe aux crocs du loup. Son regard croise le mien. J'y lis son immense stupéfaction, mais surtout sa reconnaissance. Pour la première fois, le cercle sans fin de vengeance est brisé. Il hoche la tête dans un moue contrite et murmure un « merci » avant de prendre ses jambes à son cou.
Je plonge dans les yeux de Matthew et constate avec soulagement que ses iris ont repris une couleur plus claire.
― Tu m'as écrit pour me dire que tu avais besoin de réfléchir, mais tu l'as fait venir... Pourquoi ? me demande-t-il, les sourcils froncés.
― Nous avons eu un conflit. Je voulais m'assurer que la situation était apaisée.
― Ce serpent sournois n'abandonnera jamais.
Je lui souris, confiant.
― Crois-moi, il ne nous causera plus d'ennui, à partir de maintenant.
Il grogne dans sa barbe.
― Tu rentres avec moi ? Je suppose qu'en plus tu n'as pas pris tes médicaments.
― Tu auras tout le temps de me bichonner ce soir, le rassuré-je. J'ai encore quelque chose à faire, ici.
Son regard s'allonge derrière moi, sur l'océan, puis sur la petite bâtisse.
― Et c'est quoi ici ?
― L'endroit où les cendres de ma famille ont été dispersées.
J'entraîne Matthew par la main à l'intérieur de la chapelle. Tout est en ruines, mais encore debout. Cette odeur de pierre humide me renvoie toujours dans le passé. Je marche, le nez levé et inspire. Je me sens si prêt d'eux, en ce moment. Mes doigts glissent sur l'autel sur lequel mon père m'a un jour assis, à la mort de ma mère. Je m'installe sur la dalle froide et contemple les voûtes abimées du plafond.
― Tu es triste.
Je baisse les yeux sur Matthew, qui me dévisage avec une moue chagrine.
― Je ne t'avais pas dit d'arrêter ? le sermonné-je gentiment.
― Désolé... bredouille-t-il avec un air penaud.
Je l'attire à moi dans un sourire et caresse sa joue.
― Ah... je ne suis pas revenu ici depuis un an. Je suppose que je suis juste... nostalgique. C'est le lieu le plus sacré pour moi en ce monde. J'ai le sentiment que c'est dans cette chapelle que se trouveront toujours mes parents.
― Ton père aussi est mort ? s'étonne-t-il.
Je garde un long silence, puis prends ma croix entre mes doigts.
― Oui, l'an dernier.
Après quelques secondes, sa bouche s'entrouvre et ses yeux s'agrandissent. Le mensonge de ma vie lui saute au visage. Une relation adultère avec une femme mariée, déjà humiliée par sa famille pour ses choix, un lien répréhensible avec un homme de foi respecté de l'Ordre et un enfant au centre de la honte. Voilà le secret que Leonard et ma mère ont emporté dans leur tombe. Je suis l'erreur dans leur équation clandestine. La preuve que rien n'est jamais vraiment sous contrôle.
Je caresse le rubis sur ma croix, le cœur lourd. J'ai mis longtemps à réaliser la vérité, mais surtout, à l'accepter. Jusqu'à comprendre mes propres sentiments envers Matthew. « L'amour vient juste et bouleverse tout. » Nous sommes les victimes de nos propres émois, condamnés à embrasser notre impuissance.
Parce que la tendresse est plus importante pour nous que les mots, Matthew se faufile entre mes cuisses et glisse ses mains dans mon cou. Les miennes se nouent dans son dos, au creux de ses reins, et nous nous contemplons comme si cet instant était le dernier que nous avions. Les moments secrets sont les plus précieux, car ils ne durent jamais.
Nos lèvres se retrouvent dans un tendre baiser. Si ma vie doit s'arrêter demain, je veux lui offrir cet endroit et tout ce qu'il représente. Le secret doux-amer de mon existence. Je caresse sa pommette meurtrie et me rapproche de sa bouche dans un murmure :
― Je t'aime, Matthew Nightingall.
Son regard s'écarquille. Il recule la tête pour me fixer, sous le choc. Avant qu'il ne dise quoique ce soit, je capture ses lèvres et l'enlace contre moi pour l'embrasser langoureusement. Il répond à mon étreinte en me serrant plus fort encore et fourre les doigts mes cheveux. Je ne veux pas d'autres mots que ceux que je viens de prononcer pour lui.
Je veux que cette confession perdure sur le fil sacré de ce moment, à l'inverse du temps qu'il nous reste. Un rayon de soleil gravé dans mon cœur avant de le plonger dans le néant.
Alors, cette révélation ?🥲Pauvre Will. Heureusement qu'il a énormément de résilience.
Pour un obsessionnel maladif du contrôle, c'est quand même une belle ironie du sort🫠