Après avoir réussi à dégonder la porte, nous quittons la pièce avec des masques empruntés aux cadavres. La longueur de ma cravate ascot se charge de cacher ma chemise abimée sous ma veste fermée. Matthew remet la porte en place pour dissimuler la boucherie, nous marchons dans le couloir en toute sérénité, tels deux convives ordinaires.
Comme convenu, je patiente quelques minutes près des cuisines, le temps qu'un serveur m'apporte le colis d'un certain « livreur ». L'employé revient avec une bouteille de jus de fruit et nous repartons après un généreux pourboire pour nous enfermer dans des toilettes vides.
Je déverse son contenu dans une cuvette et récupère la petite seringue cachée à l'intérieur, bien protégée dans un sachet. Je la tapote pour chasser les bulles d'air, expulse une petite quantité de liquide et m'injecte le contenu dans le pli du coude. Un soupir soulagé m'échappe tandis que je ferme les yeux. Je remets la seringue dans la bouteille, ouvre la porte et pars la jeter dans la grande poubelle, près des éviers.
― Ils sont toujours dans les jardins à picoler, nous informe Adam, à l'affût de leurs moindres mouvements grâce à l'un de nos drones furtifs. Ah, et y'a qu'un garde à la porte. Sûrement pour empêcher les gens de les déranger. Enfin bref, c'est quand vous voulez.
― Merci, 01.
― L'uniforme Uber te va bien, tu devrais te reconvertir, 01, le charrie Matthew.
― Toi, attends qu'on soit dehors.
― Avec joie.
― Ça suffit, les coupé-je sur un ton autoritaire. Allons-y.
En chemin, nous croisons des groupes de vampires qui s'enferment tour à tour dans des salons pour tester les effets de l'Oniria sur les « volontaires » – ou s'amuser avec des humains consentants, comme à leur habitude. Matthew me suit sans un mot. Je sens bien qu'il est contrarié et meurt d'envie de contrecarrer mon plan, mais j'apprécie le fait qu'il obéisse aux ordres malgré tout. Il reste toutefois beaucoup de non-dits entre nous et je n'ai pas pour habitude de travailler avec quelqu'un d'aussi extrême et instable émotionnellement. Lorsque nous rentrerons, nous devrons avoir une longue conversation.
Nous nous arrêtons à bonne distance du garde qui surveille la porte des jardins, cachés dans l'ombre du couloir.
― Je vais t'attendre là, fais-je à voix basse. Tu vas leur proposer de me livrer contre une grosse somme d'argent. Mais ils doivent être uniquement tous les deux avec toi, sans le garde, en entretien privé. Je dois être à eux et à eux seuls. Surtout n'oublie pas : lorsqu'ils m'attaqueront, tu ne devras en aucun cas intervenir.
― Ils demanderont à voir mon visage.
― Et tu leur montreras. Tu m'as dit que tu ne les connaissais pas.
― Pas... personnellement. Mais des proches oui.
― Au point de les faire douter de toi ?
― Non, au contraire...
Cette réponse me contrarie, mais j'en déduis que Raven et Langlois seront plus en confiance avec lui qu'avec un autre vampire.
― C'est parfait.
― Tu ne comprends pas, soupire-t-il, tourmenté. William, je dois te dire quelque chose...
― Il fait sa lopette maintenant, l'ennemi ? le pique Adam. Allez, on n'a pas que ça à branler, magnez-vous.
― Ferme là, putain, grogne Matthew.
― Ecoute, nous parlerons dès que tout sera terminé, murmuré-je tout en jetant un œil alentours. Sauf si ce que tu as à me dire peut mettre en péril le plan.
Il détourne un regard froncé et laisse planer un silence inquiétant.
― Matthew, tu m'as fait une promesse en t'engageant à mes côtés. Est-elle toujours d'actualité ?
Il ferme les yeux, mâchoire crispée, puis hoche la tête. Mes craintes s'intensifient. Il a pourtant massacré ses semblables pour me protéger, pourquoi recule-t-il maintenant ? A-t-il tué sur une simple pulsion de possessivité parce que je lui « appartenais », selon les termes d'Etienne ? J'ai à nouveau l'impression d'être pris dans un étau.
― C'est bon, je vais te faire entrer, déclare-t-il en se dirigeant vers la porte.
Je le rattrape en réflexe par le bras et le fixe avec un regard anxieux. A travers ce geste, j'espère inconsciemment qu'il va me rassurer, mais il n'en fait rien. Une porte semble s'être refermée entre nous et je suis impuissant.
― Le plan, je sais, dit-il avant de se détacher de ma prise. Le reste ne compte pas.
Il prononce ces derniers mots d'une voix si peu audible que je douterais presque les avoir entendus. Avant même d'être dehors, Matthew retire son masque devant le garde et celui-ci lui ouvre vite l'entrée aux jardins dans un sourire. Puis ils disparaissent à l'extérieur et je me retrouve seul dans l'ombre du couloir. Je m'adosse au mur dans une longue expiration.
― Will, j'ai coupé tu sais qui le temps de te parler, reprend Adam en claquant la porte du fourgon pour aller me parler dehors. Tu dois partir. Ce type n'est pas fiable, je le sais et toi aussi.
Je reste prostré en silence.
― Par les cuisines, t'as moyen de t'enfuir. Je vais te guider, t'auras qu'à...
― C'est une chance d'avoir pu pénétrer leur repère, cette opportunité ne se représentera pas.
― Et tu mourras si tu restes !
― Ma vie ne compte pas plus qu'une autre. Je peux épargner la vie de milliers de gens.
― Tu dois rien à ce putain de monde, bordel !
― A Leonard, si.
Il pousse un râle excédé et j'entends la voix de Miguel, sortant de la camionnette. Il n'est à nouveau plus libre de parler comme il l'entend.
― Adam, que connais-tu de l'amour ?
Il prend un moment avant de répondre.
― Je sais qu'il brille souvent dans le noir, avant d'en devenir la source.
Je laisse ma tête reposer contre le mur.
― Le cœur est traître, ajoute-t-il, mais les gens le sont encore plus.
Ma poitrine se serre. Pourquoi ces mots sont-ils à ce point douloureux ?
― Merci, 01.
Si mes sentiments m'ont influencé à tort, je mourrai ce soir. Matthew est un vampire de cinq siècles. Il connaît l'humanité mieux que personne et a de nombreuses vies derrière lui. Je ne dois pas me montrer arrogant. Bien que l'idée m'insupporte et que j'aie confiance en mon discernement, il saurait parfaitement comment me manipuler, moi qui ne suis qu'un jeune humain. S'il m'a approché de prime abord à Saint Edward, c'était bien dans cet objectif. Même si cela me déplaît, je ne dois pas l'oublier.
Au bout de dix minutes, la porte s'ouvre. Le garde s'éclipse dans le couloir et Matthew m'offre l'accès sur l'extérieur. Nous y sommes. Je prends une profonde inspiration et me dirige vers lui. Le visage dénué d'émotion, il écarte un bras pour m'inviter à le suivre et je fais mes premiers pas sur les dalles extérieures. Les jardins, fleuris et taillés avec soin, sont dignes du château d'un roi de France. Postés sous les arcades d'une roseraie, les deux vampires sirotent un verre de vin rouge dans leurs costumes sans cravates.
Leurs regards se braquent sur moi et me transpercent. Même à quelques mètres, leur aura est d'une puissance indescriptible. Langlois lisse sa moustache par-dessus un fin sourire et Raven dissimule sa joie derrière sa coupe.
― Père William, c'est un honneur de recevoir un homme tel que vous, déclare Langlois dans une brève révérence dont je perçois le sarcasme à plein nez.
Je tique un instant. Pourquoi Matthew leur a-t-il révélé mon identité de son propre chef ? Raven se contente de m'analyser sous toutes les coutures et profite du spectacle. Puisqu'il est devenu inutile de le garder, je retire mon masque et le range dans la poche intérieure de ma veste. Alors que je m'apprête à répondre avec amabilité, Matthew me coupe l'herbe sous le pied.
― Mon billet pour Rome, je l'aurai quand ?
― Vous pouvez déjà vérifier sur le compte que vous nous avez transmis, répond Raven.
Je lui jette une œillade en coin, légèrement plissée. A quoi s'amuse-t-il ? Lorsqu'il affronte mon regard, son visage est d'une froideur qui me fait frémir. Il me contemple avec un air supérieur, semblable à celui qu'il avait, au début. Il joue forcément la comédie. Il se détourne pour tripoter les pétales d'une rose dans une totale indifférence.
― Je veux ma maison en Sicile et ma Maserati. Et pas dans un mois.
― Ce sera fait.
― Et je veux faire venir quelqu'un. Vous allez verser dix-milles livres sur son compte et lui payer le billet d'avion.
― C'est bien parce que c'est vous, plaisante Raven. Son nom ?
― Valentina Rosa Baranowski. Elle est à Milan.
« Je vais contacter une amie de Milan ». Je le fixe, effaré. Il connaît cette femme, réellement, il m'en a parlé. Il ne fait que jouer un rôle, un simple rôle...
― Et votre sœur ?
― J'en sais rien. Ce qu'elle voulait, c'était que j'attrape le Stratège. J'ai rempli ma mission, basta.
Keira ? M'attraper ? Les pièces du puzzle s'emboîtent dans leur version finale. Ce que je réalise me déclenche une terrible nausée. Un rôle...
― Appelez-la directement. Vous la connaissez, après tout, poursuit Matthew en me jetant un air dédaigneux. Peut-être qu'elle voudra récupérer son cadavre pour le faire empailler.
Je reste interdit. J'ai l'impression de retrouver le vampire de nos premiers jours. Comment réagir face à quelqu'un qui serait potentiellement un véritable traître ? Dois-je le suivre dans ce double jeu sur lequel je n'ai aucun contrôle ? Je relève le menton.
― M'as-tu vraiment vendu pour t'offrir une villa et une nouvelle voiture ?
Il marque un silence, fourre ses mains dans les poches et me contemple, tête penchée.
― Si je suis revenu en Angleterre, c'est uniquement pour ma sœur. Parce qu'elle m'a appelé à l'aide pour neutraliser celui qui menaçait la sécurité des nôtres. C'est-à-dire, toi. A cause de tes conneries, j'ai lâché ma vie là-bas. Ce n'est qu'un simple retour des choses.
Je suis incapable de dire s'il ment. Et quand bien même j'exposais ses mensonges, ce serait signer notre arrêt de mort mutuel.
― Je vois que tu ne me crois pas, rétorque-t-il. Laisse-moi te prouver à quel point tu as été aveugle, Sherlock.
Il sort son téléphone et appelle sous nos yeux sa sœur en haut-parleur.
― Tu me réveilles en pleine nuit, maintenant ? marmonne Keira d'une voix grincheuse. Putain, Mat, je vais te...
― J'ai le Stratège.
Des bruits de draps indiquent qu'elle se redresse brusquement dans son lit.
― Tu te fous de moi ?
― Je suis au Lorens. Je viens de le livrer à Raven et Langlois.
― L'enfoiré ! Donne-moi le nom de ce fils de pute, je vais lui arracher la tête !
Il pose les yeux sur moi. Un fin sourire étire ses lèvres.
― Père William.
― Wi... William ?! Le père William que tu te tapes ?
― Correct.
― Je rêve... Espèce de saleté ! Dire que j'ai cru que t'étais amoureux de lui. Bordel, t'as vraiment berné tout le monde, sale vaurien. J'ai eu raison de t'appeler à la rescousse, y'avait pas mieux que toi pour choper cet enculé. J'aimerais voir sa tête, en ce moment.
Une sueur froide me traverse. Mes entrailles se compriment.
― J'avoue que sa tête vaut le coup.
A mon inverse, Raven et Langlois apprécient l'échange.
― Comment t'as fait ? demande Keira.
Il se raidit une seconde avant de répondre.
― Un démon l'a marqué pour moi.
Je reste sous le choc. Le monde s'effondre autour de moi. Tout ce temps, la vérité était sous mon nez, trop immonde pour avoir été envisagée.
― Comment... murmuré-je, pétrifié.
― Will, Will, soupire-t-il, franchement, c'était si facile de te mentir. Pourquoi tu crois que je me suis arrêté quand j'étais sur le point de te baiser contre l'autel ? Pour tes jolies larmes ?
C'était donc bien son intention, à ce moment-là...
― J'ai juste reconnu la marque que le démon a laissé sur ta jambe, à ma demande, et j'ai voulu en savoir plus sur votre cellule à Londres pour fournir toutes les infos possibles à ma sœur avant de partir. Et m'amuser avec toi aussi, c'est sûr.
Un vertige me fait tanguer.
― C'était ça ton « infiltration de l'ennemi », se moque Keira. T'as d'la chance, t'as pas eu à te farcir les cent-soixante-dix paroisses du Grand Londres.
Matthew ricane.
― J'en aurais peut-être sauté quelques-uns de plus parmi les plus mignons. Passé cinq cent ans, il faut bien se pimenter un peu la vie.
Langlois et Raven rient aux éclats. Je m'écarte de lui à pas lents, horrifié. Et moi, je l'ai laissé entrer dans ma vie. Je lui ai accordé ma confiance. Offert mon corps. Mon cœur. Le premier être à qui j'ai tout donné de mon plein gré, comme il le désirait... Mes organes se liquéfient. Je me sens sale. Humilié. Stupide. Depuis le début, Adam avait raison. Comment ai-je pu être aussi...
― T'es très intelligent, Will, bien plus que la moyenne, dit-il sur un ton détaché. Mais un humain qui aime pour la première fois devient aussi aveugle et fragile qu'un nourrisson. C'est pas ta faute.
― Espèce d'enflure... bouillonné-je en le foudroyant du regard.
Nouveau vertige. Ma rage est freinée par les effets diffus de l'Oniria et trouble ma vision. Je fais encore un pas en arrière et m'érafle la joue contre les rosiers. Une goutte de sang perle sur ma peau. Langlois et Raven me dévorent des yeux tout en humant l'air. Bientôt, ils se jetteront sur moi.
Matthew raccroche et me contemple avec une atroce désinvolture. Ce contraste avec son attitude d'amant éperdu me donne envie de vomir. Si je dois mourir ce soir, je les emporterai tous les trois avec moi. Je sors de ma botte mon fin poignard au manche d'or en forme de crucifix.
― C'est... une des dagues des Saints d'Angleterre ? me lance Langlois, offusqué par sa vision. Ces armes ont tué tant de vampires à travers les siècles qu'elles portent encore l'écho de leurs hurlements...
Je peux sentir leur irritation d'ici. De l'eau bénite a été cristallisée dans ces lames, sa simple présence ici est tant une offense qu'un symbole de supériorité pour moi. Matthew est le seul à n'avoir aucune réaction. Je serre le manche entre mes doigts, mais mes mains tremblent. Maudite drogue.
― Te fatigue pas, tu tiens à peine debout avec tout l'Oniria que t'as bu, chéri.
― Je t'interdis de m'appeler comme ça !
― Neutralisez-le, Matthew, ordonne Langlois entre deux gorgées de vin piquées dans la coupe de son partenaire.
― S'il a bu de l'Oniria, il aura autant de force et de réflexes qu'un enfant durant les prochaines heures, assure Raven sur un ton narquois. Profitons du spectacle. Nous le mordrons lorsqu'il tombera de lui-même de fatigue.
Je m'avance vers Matthew, bien résolu à lui faire payer sa traîtrise.
― Will, soupire-t-il sur un ton las.
Je lui fonce dessus et tranche l'air avec mon arme. Il esquive, mais je me retourne dans la foulée et l'attaque dans un revers de lame qui incise d'un geste vif son costume au niveau du torse.
― Pour un enfant, il est agile face à un vampire de cinq siècles, reproche Langlois à son ami, un sourcil arqué.
― Rien que je ne puisse pas régler à mains nues, affirme Matthew.
Il m'attrape par le poignet, mais je lui assène un coup de pied dans le ventre qui le repousse loin de moi. Il se redresse, mâchoire serrée et sort son pugio de sa veste.
― Ne le tuez pas ! s'écrie Raven. Et ne le blessez pas trop. Je veux le boire alors que son cœur bat encore et l'écorcher moi-même.
Matthew lève les yeux au ciel. Son arme rangée, il se rue sur moi. Je parviens à le contourner dans un mouvement fluide et lui colle un violent coup de coude dans la colonne vertébrale. A l'instant où il se retourne, je tranche l'air sous son nez et lui entaille la joue. Il effleure la plaie dans une légère grimace. S'il n'avait pas grandi dans une église, il serait en train de hurler de douleur. Son visage se rembrunit.
― William...
Je me jette sur lui, mais un vertige trouble ma vue et il profite de l'occasion pour me retourner et me sangle dos contre son buste avec force, les bras bloqués contre lui. Ma dague tombe au sol dans un tintement sonore. Je me débats, mais la drogue me prive de ma hargne et je me retrouve prisonnier de son emprise.
― Lâche-moi !
Les sourires reviennent sur les visages des deux vampires, qui partent déposer leurs verres vides sur un banc en pierre, sous un rosier. Ma colère se décuple sans pouvoir se déchaîner et mon souffle se raccourcit.
― William, arrête.
― Tu n'es qu'un...
― 01 est au courant, me murmure-t-il au creux de l'oreille.
Je me fige. Adam ? Adam était au courant de tout ? Non, impossible. Mon esprit s'embrume, je peine à réfléchir correctement. L'effort physique a été trop intense. Je secoue la tête, fiévreux mais toujours en lutte. La bouche de Matthew effleure mon lobe dans une caresse.
― Ton plan, William.
Mon plan ? Alors, toutes ces horribles vérités servaient mon plan ? Je ne sais plus ce que je dois croire. Ma rancune ne tarit pas, mais je ne me débats plus. De toute manière, je n'en ai plus la force. Les deux vampires s'approchent de moi tandis que Matthew me maintient contre son torse, mes bras le long du corps. Langlois, son sourire de noble prétentieux aux lèvres, retrousse ma manche droite et Raven fait de même avec la gauche.
― Après tout le mal que vous nous avez donné, nous n'aurions pas pu rêver d'une meilleure fin pour vous, mon père, se réjouit Langlois en soulevant mon poignet. Merci pour le spectacle, Matthew. Tous ces sentiments, cette trahison, son angoisse, son cœur brisé...
― De succulents amuse-bouche, conclut Raven.
Les deux complices échangent un rire satisfait. Mon estomac se noue. Non par peur de mourir – j'y suis préparé depuis bien longtemps –, mais parce que celui que je croyais aimer a avoué m'avoir maudit et torturé par l'intermédiaire d'un démon. Leurs canines se plantent dans les veines de mes poignets. Je me raidis, dents serrées, refoulant la terreur qui me hante depuis les enfers à chaque lampée de sang.
En cet instant, je hais les vampires. Je les hais tous autant qu'ils sont. La douleur sentimentale se mêle à l'horreur et les larmes m'échauffent les joues. Entre deux gorgées, ils se lèchent les lèvres, les pupilles dilatées.
― Ce prêtre est absolument divin, s'extasie Langlois.
Raven glisse une main jusque dans le pli de mon coude pour palper mon bras avec gourmandise. La poigne de Matthew se resserre jalousement autour de moi à ce geste. Mes jambes se mettent à flageoler. Quand vont-ils...
La bouche de Raven se détache de mon poignet. Ses yeux, parcourus de fines veines rouges, s'agrandissent et se figent sur moi.
― Arthur... souffle-t-il à Langlois.
Ce dernier relève le nez. Il observe la rougeur des yeux de son ami, devenus violacés.
― Christian ? Qu'est-ce que...
Il s'interrompt et porte une main à sa bouche. L'instant d'après, il vomit ses tripes dans l'allée sablonneuse. Raven l'imite dans la foulée. Enfin... Matthew me relâche et nous nous écartons de quelques pas lorsqu'ils commencent à cracher du sang. Leur sang.
― Qu'est-ce que tu nous as fait, prêtre ? s'épouvante Langlois, tremblant comme une feuille.
Je lutte contre mon propre corps pour répondre d'une voix assurée.
― Je me suis injecté un poison aérobie. Dès que mon sang entre en contact avec l'air, sa constitution change et il devient mortel une fois ingéré. Votre système digestif est rongé par la toxine corrosive, qui dissout tous les tissus sur son chemin. Vous êtes littéralement consumé de l'intérieur par de l'acide.
Matthew me fixe du coin de l'œil, étonné par mes explications. Je suppose qu'Adam ne lui a pas fourni tous les détails. Les deux compères n'ont pas le temps de surenchérir. Secoués par de violentes quintes de toux sanguinolentes, ils succombent en quelques secondes et s'écroulent dans le sable au milieu de leurs projections, l'un face à l'autre. C'est fini, bien fini... Mes jambes m'abandonnent et je m'effondre sur le sol.
― William !
A travers ma vision floue, je vois Matthew se jeter à mes pieds pour me redresser entre ses bras. Il appuie sur son oreillette, prononce quelques mots inaudibles, puis sa main glisse sous ma joue.
― Ne me... touche pas, murmuré-je dans un soupir éreinté.
― Will...
Le monde devient trouble, ma respiration diminue. Tous... ils m'ont tous pris trop de sang. Mon corps est arrivé à bout.
― Je suis désolé, susurre-t-il d'une voix chevrotante, tellement désolé...