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June_Stephen
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Chapitre 21

PDV William

Un pépiement d'oiseau me tire de mon sommeil. Les paupières encore closes, j'attrape ma croix et caresse le rubis avec mon pouce, comme à chaque réveil. Une subtile odeur de café chaud s'introduit dans la chambre depuis la porte entrouverte. Je m'assois dans le lit et me frotte le visage. Depuis combien de temps n'ai-je pas fait une nuit complète ? 

Etalées au bout du grand lit, je reconnais l'une de mes soutanes blanches ainsi qu'un pantalon et un gilet noirs, avec une chemise et mon col romain. Matthew a pris le temps de récupérer des vêtements pour moi. J'apprécie le geste, mais je ne compte pas rester ici. Même si je n'assure pas mon programme de ce matin à l'église, je dois rentrer. 

Je sors du lit pour aller faire un brin de toilette, mais dès l'instant où mon poids repose sur mon pied droit, une vive douleur m'électrise. Ma jambe lâche et je m'écroule sur le sol. 

― William ? s'écrie Matthew depuis le couloir. Ça va ?

Il entre en trombe dans la chambre, torse nu avec de fines lunettes noires sur le nez.

― Qu'est-ce qu'il s'est passé ? s'inquiète-t-il en s'accroupissant devant moi.

― Je ne sais pas, je...

― Ta cheville, elle est enflée.

Je regarde mon pied. En effet, elle a doublé de volume.

― Hmm, à l'origine, je m'étais foulé la cheville. Je suis peut-être retombé hier soir, après être allé faire les courses.

Il me fixe avec cet air accusateur qui nous reproche d'ignorer nos blessures. Je bats des cils, les lèvres ornées d'un sourire angélique, et glisse mes cheveux derrière l'oreille. On ne se refait pas. 

Il me soutient sous l'aisselle pour me relever et m'installe sur le lit pour examiner mon pied, à genoux devant moi. Je discerne le haut d'un long tatouage dans son dos. Ma curiosité est à nouveau piquée... jusqu'à ce que la douleur me fasse grincer des dents lorsqu'il manipule ma cheville.

― Pourquoi tu ne m'as pas demandé pour tes achats ?

― Je ne vais pas vous appeler pour tout et n'importe quoi.

― OK. Demandons son avis à père Thomas.

― Hors de question. Il est occupé avec sa santé, vous n'allez pas l'embêter pour une stupide histoire de cheville.

― Soit tu prends quelques jours de congés pour te soigner, soit je l'appelle. Et on sait tous les deux ce qu'il décidera.

― C'est moi qui gère ma paroisse, à présent, monsieur Nightingall, répliqué-je sur un ton plus ferme.

― Et c'est moi qui gère vos finances, père William. A partir d'aujourd'hui, l'église est fermée pour rénovations des chambres, réparations des fissures dans les murs et remplacement des tuiles manquantes sur le toit.

― Pardon ? 

― William, j'ai compris que tu étais du genre têtu, mais là, tu aggraves juste ta situation.

Je détourne une moue contrariée, un sourcil arqué.

― Puis-je au moins me doucher, docteur, ou serait-ce trop demandé ? 

― Ma salle de bain est là, dit-il en désignant la pièce derrière lui.

― Votre salle de bain ?

― Tu es dans ma chambre. 

Mes yeux s'agrandissent. Ai-je dormi... dans son lit ? Cette idée me trouble et me déplaît à la fois. Combien de personnes sont passées sous ces draps ?

― Non, je n'ai pas couché avec plein de monde dans ce lit, soupire-t-il. Je ne ramène pas mes plans cul chez moi, je n'aime pas ça. Mon lit, c'est mon lit, il est sacré.

― Pourquoi m'avoir ramené moi, dans ce cas ? 

Il me fixe avec un regard impénétrable.

― Parce que toi, tu es l'exception à toutes mes règles. Et que tu mérites le confort de ma chambre. Je ne veux que le meilleur pour toi.

Je garde le silence. L'exception à toutes ses règles, n'est-ce pas ? Il finira bien par se désintéresser de moi lorsqu'il se lassera de mon indifférence. Indifférence parfois difficile à conserver, ceci dit, je l'admets. Mon corps s'avère quelque peu traître sur les bords.

― Tu n'as jamais été amoureux, toi, pas vrai ? dit-il en ouvrant le tiroir du chevet.

― En effet.

― Il n'y a vraiment que Dieu dans ton cœur ?

― Ai-je le profil d'un dévot aveuglé par sa foi ?

Il rit en enduisant ma cheville d'une nouvelle crème.

― Tu es trop intelligent pour ça, c'est vrai. Tu fais juste partie de ceux qui ne couchent pas sans amour et sans sécurité.

― En quoi est-ce important ? fais-je sur un ton ennuyé.

Je respire lentement tandis qu'il masse ma cheville endolorie pour faire pénétrer la mixture.

― Un être qui n'a jamais connu l'amour est passé à côté des sentiments les plus forts qui existent, affirme-t-il.

― Quel auteur ? 

― Moi. 

Je secoue la tête, amusé.

― Médecin et philosophe. Que me cachez-vous d'autre, Matthew Nightingall ? 

Son expression se refroidit. Je le dévisage, intrigué. Alors que j'allais ouvrir la bouche, la voix de Keira retentit dans la maison tel un mugissement.

― J'me casse !

La porte claque derrière elle à en faire trembler les murs.

― La délicatesse de ma sœur, sourit-il en sortant un bandage du tiroir du chevet. C'est un strap waterproof. Tu pourras te laver avec sans problème. On le changera ce soir.

Il enveloppe ma cheville avec la bande. Je profite qu'il soit concentré sur mon pied pour détailler son corps. Une musculature sèche et équilibrée, ni trop fine ni trop massive, et des épaules bien développées, parfaites pour un sport de combat. Etrangement, il n'a pas de cicatrices sur lui, à l'exception de celles sur son visage. Avec son rythme de vie dangereux en Italie, cela m'étonne. Me serais-je aussi trompé sur ce point ? 

Lorsqu'il me tourne le dos, je découvre avec étonnement le tatouage en noir et blanc qui s'étire entre ses omoplates, le long de sa colonne vertébrale : une épée de chevalier britannique. Une rose entrelace ses épines autour de la lame, sur laquelle sont gravées des dates que je peine à discerner de par leur typographie manuscrite. Derrière le pommeau, un croissant de lune solitaire apporte une touche de mélancolie. Inutile de dire que ce dessin est fort en symbolique. Je me garderai de l'interroger dessus. Un chevalier... Je l'imagine très bien dans ce rôle. 

Ma cheville soignée et solidement strappée, je peux enfin marcher sans trop de difficultés. 

― Très cher, vous faites des miracles.

Il hausse à peine les épaules en rangeant le matériel. A en croire sa gestuelle, on pourrait croire qu'il fait ça toute la journée. Je suis pourtant persuadé du contraire. Cet homme attise de plus en plus ma curiosité.

Après une douche chaude dans la salle de bain de sa chambre, j'enfile le pantalon et rentre la chemise blanche à l'intérieur, puis passe le gilet montant jusqu'au col romain et quitte la pièce pour rejoindre Matthew dans la cuisine. 

En chemin, j'en profite pour observer la maison : confortable et cosy, parsemée de touches rock en accord avec le fort tempérament de Keira. Des objets de collection – datant de plusieurs siècles – reposent ici et là, comme s'ils avaient transmis de génération en génération et gardés par affection sans prendre en compte le contraste avec le reste de la décoration. 

Lorsque je m'approche d'une photo vieillie, Matthew me saute dessus pour m'entraîner à la cuisine.

― Ne commence pas déjà à fouiner, Sherlock.

― Je ne « fouinais » pas, j'admirais la maison.

Pourquoi tant de méfiance envers moi, tout à coup ? Je m'assieds à la table de la cuisine et il dépose du café, du thé, un plat de bacon, des brioches et des œufs brouillés. Ses gestes sont nerveux. Que me cache-t-il de si important ? Plus il sera secret, plus j'aurai envie de le percer à jour.

― Vous ne déjeunez pas ?

― J'ai déjà mangé plus tôt dans la matinée, dit-il en s'asseyant face à moi, bras croisés sur son pull blanc. Parle-moi un peu de toi au lieu de toujours m'analyser sous toutes les coutures.

― Je pensais que vous alliez deviner.

― Roh, allez, c'est pas moi le petit génie.

J'attaque le déjeuner tout en examinant la cuisine d'un œil nonchalant, à la recherche de nouvelles informations.

― Ma famille descend de la noblesse de Norfolk, commencé-je. Ils habitent tous dans le sud de Manchester, aujourd'hui.

― Que font tes parents ?

― Ils sont tous les deux conservateurs. 

― C'est eux qui t'ont mis sur la voie paroissiale ?

― Un ami de la famille. J'ai suivi son exemple.

― Hmm, laisse-moi deviner, pour apporter ton aide aux autres ?

Je placarde un beau sourire sur mon visage et replace mes cheveux derrière l'oreille. 

― Certes.

La réponse juste était : faire partie d'un projet plus grand que moi. Me sauver en liant mon destin à celui de Londres. Mais peut-on vraiment parler de choix lorsque ma survie dépendait de cette voie ? Matthew avance la tête vers moi avec de gros yeux pour m'inciter à parler.

― Je ne vous en dirai pas plus, fais-je en portant un œuf enroulé de bacon à ma bouche, je ne vais pas non plus vous mâcher le travail.

― Quoi ? Mais tu m'as à peine apporté trois toutes petites infos !

― Quatre. Et vous n'en saurez pas plus.

― Tu es vraiment...

Il bougonne dans son coin. De mon côté, je savoure les brioches au sucre les plus savoureuses que j'ai jamais mangé. Malgré tout, mon thé du matin me manque. Un breuvage très particulier que j'aime boire seul dans mon cocon.

― Tu aimes faire quoi sur ton temps libre, à part lire ?

― Rien de spécial, comme tout le monde.

― Tu es tout sauf comme tout le monde, lance-t-il sur un ton taquin.

Nouveau sourire courtois. Là aussi, la vérité me rendrait étrange. Mon temps d'étude et de lecture journaliers, ma maniaquerie, mon thé et mes multiples obsessions... sans mes rituels, je perds pieds. Ils me rassurent et me garantissent un équilibre en plein chaos. Des caractéristiques qui m'ont valu de nombreuses violences, durant ma jeunesse. 

Heureusement, je m'adapte plus vite que mon ombre ; ma souffrance intérieure n'appartient qu'à moi. Le silence sauve des vies.

― C'est Keira qui a cuisiné ? 

― Non. Ma sœur ne fait que grignoter sans arrêt. C'est moi le cuistot de la famille.

Un nouveau talent à ajouter à la liste. J'observe mon « cuistot » avec attention tout en terminant ma nourriture.

― J'aimerais croire que tu me dévores des yeux parce que je suis irrésistible, mais je sais bien que ce n'est pas le cas.

Je repousse mon assiette et croise les bras pour le dévisager dans une moue songeuse.

― Vous savez que je vais finir par découvrir tous vos petits secrets si vous me gardez chez vous, monsieur Nightingall ?

Son expression se crispe et il détourne le regard. Est-ce de la tristesse que je lis dans ses yeux ? Il se lève. 

― Si tu as fini, allons faire un tour dehors, il fait beau.

Je le suis avec plaisir et constate que la photo sépia a disparu. Un petit sourire retrousse le coin de ma lèvre. Je commence à le prendre comme un défi...

Depuis la terrasse en bois, le cœur de la forêt nous fait face à une dizaine de mètres ; l'écho d'une petite cascade résonne sous son toit de feuilles cuivrées. Quel tableau idyllique. A ma droite, deux fauteuils en osier tressés et à ma gauche, un jacuzzi creusé dans le plancher, d'une taille propice aux rapprochements intimes.

― On peut en passer de beaux moments dedans, me chuchote-t-il.

Je lui darde un regard de biais, le sourcil arqué, et tourne la tête avec une atroce placidité. Même si, au fond, l'idée de me retrouver avec lui dans ce bain à remous au clair de lune ne me laisse pas entièrement de marbre.

― Est-ce que tu as des amis vampires ? 

Sa question me surprend. Je le contemple alors qu'il fixe la forêt avec un air mélancolique, les mains dans les poches. Des amis vampires, moi ? Avec mon passé, ma vocation religieuse et mon activité de chasseur ? Cela serait bien hypocrite de ma part. 

De plus, depuis mon aperçu de l'enfer, ma crainte de leur race a empiré. Sans haine aucune envers eux, j'aurais beaucoup de mal à être proche d'un vampire, aujourd'hui.

Le moment où Matthew a soigné mon dos avec sa lotion à base de salive me revient en mémoire. Je prends soudain conscience que, si un vampire me mord un jour, en plus de raviver le cauchemar engendré par le démon, je serai sans doute submergé par un incontrôlable désir sexuel à cause de la sensibilité de mon corps. 

Tous les combats que j'ai livré contre les criminels se retracent dans mon esprit d'une nouvelle manière. Si j'avais été mordu ne serait-ce qu'une seule fois, j'imagine sans mal l'état de vulnérabilité dans lequel j'aurais fini... 

Je frémis. Les images de leurs canines me déchiquetant les membres et la gorge affluent à nouveau. Le serpent chauffe mon mollet comme si le démon lisait en moi. J'inspire lentement pour ne pas laisser mon cœur s'emballer et garder le contrôle. 

La réalité est indéniable : chaque fois qu'un vampire se tiendra devant moi, criminel ou personne lambda, je serai terrifié à l'idée d'être mordu. Je vais devoir redoubler d'efforts pour me maîtriser. Je réprime un soupir nerveux. Mon thé me manque.

― Un homme comme moi n'a rien à faire avec eux, fais-je sur un ton monocorde. Ce n'est même plus un choix, à mon niveau.

― Bien sûr. Désolé, c'était une question bête.

Je plisse les yeux sur lui. Son expression s'est encore affaissée. L'intensité de sa peine m'interpelle. S'il ne passait pas tout ce temps à l'église et qu'il n'était pas aussi décontracté à l'intérieur, j'aurais presque pu penser qu'il... 

DING DONG. Nous nous retournons brusquement vers la baie vitrée du salon. Matthew a l'air aussi surpris que moi. Son étonnement se mue en méfiance.

― Une balade en forêt en m'attendant, ça te dirait ? Je reviens vite.

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