PDV Matthew
Je m'étire dans un long gémissement de bien-être. Ma main glisse sur le matelas, à la recherche du corps chaud de mon William. Pourquoi les draps sont-ils si froids ? J'ouvre les yeux sur une place vide. Où est-il passé ? Sans doute à la cuisine avec Keira, en train de boire son thé. J'espère qu'elle lui a fait prendre ses médicaments, il n'a recommencé à les prendre qu'hier soir. J'enfile mon pantalon de jogging, un t-shirt blanc et mes lunettes, puis me dirige vers la cuisine. Personne. Où sont-ils ?
― William ? Keira ?
― Gueule pas, râle ma sœur.
Je me retourne sur elle, postée à l'entrée de la maison.
― Où il est ?
― Bonjour Keira, comment vas-tu Keira ? dit-elle, sarcastique.
― Dis-moi où est William.
Elle lève les yeux au ciel et se place devant le miroir pour nouer ses longues tresses en une épaisse queue de cheval basse.
― Il est rentré à Saint Edward. Il avait des choses à faire.
L'information est tellement aberrante que je mets quelques secondes avant de l'intégrer.
― Tu te fous de moi ? Après la vente ?
― Quelqu'un l'a vu tuer Raven et Langlois ?
― Non, mais...
― Sa couverture est trahie ?
― Non. Mais les vampires de la vente aux enchères ont vu son visage, certains vont aller à Saint Edward, c'est garanti.
― Tu penses vraiment que ton mec va renoncer à ses fonctions pour une bande de stalkers à canines ? Tssk ! Il se fera attaquer mille fois avant ça.
Je me pince l'arête du nez. Un peu de sérénité dans ma vie, c'est trop demandé ?
― Je vais y aller.
― Hors de question, tu restes ici.
― Je compte pas le laisser sans protection dans son état.
― Je serai là, il se passera rien.
― Pardon ? Toi ?
― J'y vais pour la journée. On organise une collecte de fonds devant les portes avec les assos de soutien aux vampires de la ville. Miles et Kate, mes collègues du don de sang, sont déjà là-bas en train de monter les stands. Et avant que tu demandes, c'est l'idée de ton prêtre. La première d'une longue série.
Je suis sans voix.
― Lier l'Eglise et les vampires ? Il est de plus en plus fou ?
Elle récupère de grands sacs remplis de scones et de petits gâteaux de viande dont l'odeur alléchante m'indique une recette chargée en sang.
― Les gens vont réagir, c'est le but.
― Ah, bah ça ! Y'a pas que les gens qui vont réagir, il va s'attirer des ennuis avec l'Ordre et l'ensemble de la Chrétienté. T'en es consciente ?
Elle ouvre la porte, le vent froid me fouette le visage.
― Mat, j'ai l'impression que c'est moi qui lui fais plus confiance que toi.
― Tu le connais pas. Il irait jusqu'en enfer, s'il le fallait, juste pour aller au bout de son objectif.
Son regard grave se pose sur moi.
― Dans la vie, on croise des personnes comme lui. Des gens hors normes qui mènent la bataille même seuls, juste pour décrocher la victoire au nom de ceux qui sont tombés pour elle. Ces gens-là, faut les suivre à corps perdu, parce que le prochain arrivera peut-être que dans un siècle. Et notre société n'attendra pas jusque-là pour s'auto-détruire.
Je secoue la tête, halluciné. Keira, parler de William de cette manière...
― Tu hais les religieux autant que moi. Qu'est-ce qu'il t'a dit pour que tu changes d'avis comme ça ? Qu'est-ce qu'il a prévu ? fais-je en la poursuivant jusqu'à sa voiture. Dis-moi ce qu'il va faire après la collecte !
Elle pose les sacs devant sa voiture et pointe un index menaçant vers moi.
― Reste à ta place, Mat.
― Ma place est à ses côtés ! m'écrié-je, irrité. Toi, t'arrives que maintenant, de quel droit tu...
― T'as fait un gros sacrifice pour lui permettre de réussir. Tu vas tout foutre en l'air maintenant ? s'emporte-t-elle.
― Quoi ? Non, bien sûr que non !
― Bien, alors reste à la maison et attends ton tour !
― Mon tour ? Je vais être intégré ? m'étonné-je, ravi.
Elle acquiesce, mais son expression froncée et sa nervosité trahissent son angoisse. Keira n'est pas quelqu'un qui s'inquiète pour les humains, encore moins pour un curé. On me cache quelque chose de bien plus dangereux. Je suis sûr qu'Adam sait tout, mais si William leur a demandé de garder le secret pour le moment, personne ne me dira rien.
― Mat, ne nous dérange pas pendant la collecte, sauf si on t'appelle. T'as compris ?
Sa voix est d'une autorité anxieuse. Je commence à penser que William ne s'est pas absenté seulement pour réfléchir à notre relation, mais pour organiser un gros coup. Sauf que, cette fois, les conséquences vont être énormes. Les choses vont dégénérer et William en sera la première victime, j'en ai la conviction. La question est : vais-je agir et mettre en péril la réussite de son projet, qui serait bénéfique pour notre communauté toute entière ?
Je hoche la tête sagement pour contenter ma sœur. Elle tente de cacher sa déglutition difficile derrière son écharpe, mais je la connais par cœur. Faussement bougonne, elle jure dans sa barbe et grimpe dans sa voiture après avoir déposé les sacs dans le coffre. Je la regarde partir en trombe. Le nuage de son pot d'échappement se mêle à la brume matinale et le silence reprend ses droits.
Mon amour, j'ai fait passer ta mission avant ta confiance en moi. Mais je ne la laisserai pas passer avant ta vie. Peu importe si tu dois me détester pour le restant de tes jours. Pour toi, je plongerais ce pays dans l'anarchie.